Nouvel épisode dans la triste série du cas d'école de marketing politique démagogique, l'expulsion des prétendus étrangers criminels, et autres NEM (requérants d'asile / Non-Entrée-en-Matière) : l'UDC lance une initative sur la "primauté du droit suisse sur le droit international", tout en suggérant de dénoncer la CEDH (Convention).
La faute, selon certains ("Le règne de Strasbourg irrite à très juste titre", "Droits de l’homme", "La cour de Strasbourg renforce la position de l’UDC"), à la CEDH (Cour), qui prendrait les droits de l'homme trop au sérieux, en les étendant (quelle drôle d'idée !) aux étrangers. Il semblerait, en effet et à la surprise générale, que ces derniers seraient aussi des hommes...
Triste historique
Voici bientôt quarante ans qu'un socialisme, qui s'affublait du préfixe décoratif de «national», a mis un terme à la libre circulation en Europe.
Friedrich Hayek, cité par Christoph Blocher
Depuis un siècle, l'ingérance étatique dans la libre circulation des personnes n'a cessé de croître. Que ce soient les contrôles aux frontières, les "permis" de séjour, les quotas ou les expulsions, tous les moyens sont bons pour "durcir" chaque année une "politique des étrangers" de plus en plus restrictive.
A tel point que "la Suisse" a été condamnée à de nombreuses reprises par la CEDH pour ses expulsions absurdes :
le cas d’un jeune Turc vivant à Neuchâtel et qui avait été condamné à une expulsion à vie pour des faits de délinquance juvénile. La Cour européenne avait jugé que c’était disproportionné, cet homme étant arrivé très jeune en Suisse et ne parlant même plus le turc. Le TF dans son deuxième jugement était revenu sur l’expulsion à vie mais pour prononcer une expulsion de dix ans. Nouveau recours à Strasbourg et nouvelle condamnation de la Suisse. Après ça, le TF a rendu un troisième jugement qui permettait au jeune homme de rester en Suisse.
Ou encore : Une famille de demandeurs d’asile équatoriens gagne devant la Cour européenne des droits de l’homme, La Cour européenne des droits de l‘homme a condamné la Confédération pour avoir retiré son autorisation de séjour à un délinquant Nigérian, alors que ses enfants étaient en Suisse.
Dernier cas en date : Le renvoi d’une famille de demandeurs d’asile afghans en Italie dans le cadre du règlement « Dublin » sans garantie individuelle de prise en charge emporterait violation de la Convention
Et un autre moins commenté :
Un opposant iranien menacé par la Suisse d’expulsion dans son pays, où il risque la prison et 70 coups de fouet, a obtenu gain de cause à Strasbourg. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que son renvoi violerait l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants. (18 novembre 2014)
En parallèle, l'UDC n'a cessé de lancer (et parfois gagner) des initiatives populaires afin de "durcir" encore cette politique, s'indignant du "laxisme" actuel...
Un laxisme imaginaire
Contrairement à ce qu’ont raconté nos adversaires, l’UDC ne veut pas expulser pour un paquet de chewing-gums volé. Par contre, nous pourrons désormais expulser entre 700 et 800 criminels dangereux de plus
Constatons donc que les autorités suisses ont été condamnées par la CEDH pour avoir voulu expulser un étranger à vie... alors que l'initative de l'UDC sur l'expulsion des étrangers n'est pas encore entrée en vigueur, et que d'ailleurs elle ne le prévoit même pas ! Et que les situations absurdes, du type expulser dans un pays des personnes qui n'y ont jamais mis les pieds, et n'en parlent pas la langue, sont déjà une réalité.
La loi actuelle donc, loin d'être laxiste :
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prévoit l'expulsion des étrangers criminels, allant même au delà des exigences de l'initative ;
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est appliquée avec tant de rigueur qu'elle vaut à la Suisse d'être condamnée, à de nombreuses reprises, par la CEDH.
Cette situation "laxiste" étant jugée intolérable, l'UDC a donc lancé deux nouvelles initatives, une pour expulser en masse les étrangers :
Or, selon les estimations du Département de justice et police, la seconde concernerait 15 000 auteurs de crimes ou délits.
Le fait que "la Suisse" ait été condamnée tant de fois par la CEDH, avant l'entrée de la première initiative UDC sur l'expulsion, et avant même le vote sur la seconde, montre donc avant tout une chose : que dans tous les cas, ces initatives sont puremenent malhonnêtes.
Que l'UDC fasse tout pour se positionner comme parti anti-étrangers, en s'indignant d'une pratique déjà répressive et proposant de fausses solutions coûteuses, inhumaines et malhonnêtes à un "problème" inventé de toutes pièces n'est guère rassurant. Qu'un tel positionnement soit politiquement porteur l'est encore moins.
Souveraineté nationale
La Suisse n’a besoin ni d’un droit international, ni d’un tribunal international pour lui dire comment elle doit protéger les droits de l’homme», a soutenu Hans-Ueli Vogt. «Nous devons décider nous-mêmes de la signification concrète des droits de l’homme et des restrictions qu’on peut y apporter.»
Mais avoir une législation délirante d'expulsion des étrangers déjà en place c'est "bien", mais encore faut-il pouvoir l'appliquer en toute impunité, d'où l'autre initiative, pour la "primauté du droit suisse sur le droit international", ainsi que les vélléitiés de Ueli Maurer de dénoncer la CEDH.
Toutes proportions gardées, on ne peut s'empêcher de penser, sur le principe de la "souveraineté nationale", de la "non-ingérance étrangère" et de "nous décidons nous-mêmes si on restreint les droits de l'homme", autrement dit "ce qu'on fait de nos étrangers ne regarde que nous" au discours de Goebbels à la SDN à Genève, il y a à peine moins d'un siècle :
Messieurs, Charbonnier est maître chez lui. Nous sommes un État souverain et tout ce que dit cet individu ne vous regarde pas. Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes, de nos juifs et nous n’avons à subir de contrôle, ni de l’humanité, ni de la Société des Nations.
Mais il est encore bien plus inquiétant que le Conseil fédéral, tout en faisant mine de s'indigner des propositions de l'UDC, tente de saboter en douce le droit de recours auprès de la CEDH. Autrement dit, non pas en retirer la Suisse, mais la rendre impuissante à protéger les droits de l'homme :
Le protocole 15 soumis à ratification propose en effet de mentionner plus explicitement le principe de subsidiarité. C’est-à-dire que ce sont les Etats parties qui, en premier lieu, sont responsables du respect et de la mise en œuvre de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ce pour quoi ils jouissent d’une certaine marge d’appréciation. La Cour ne devrait dès lors intervenir qu’en dernier recours.
La Cour européenne des droits de l’homme remise à sa juste place
On nous expliquera, bien sûr, que c'est une question de souveraineté nationale : Charbonnier est maître chez soi, nous l'avons vu. Enfin, surtout quand c'est de chez nous qu'on parle, n'est-ce pas, chez les autres, on peut continuer à intervenir - sauf qu'on n'aura plus aucun argument valable pour le faire.
Faut-il donc qu'Amnesty International nous le rappelle :
En étant lié à la Convention, on n'est pas simplement là pour contrôler les autres pays, on est aussi soi-même jugé. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, la Suisse n'est pas blanche comme neige lorsqu'il s'agit du respect des droits humains. Elle a été condamnée pour des violations de la Convention, et cela 87 fois.
Est-ce trop? Oui, mais pas parce que des «juges étrangers» condamnent excessivement la Suisse. C'est trop parce que la Suisse a bafoué à 87 reprises les droits d'individus, et que ceux-ci ont dû aller jusqu'à Strasbourg pour obtenir justice.
Boris Wijkström souligne d'ailleurs que : "le rôle de la cour à Strasbourg comme ultime gardien des droits fondamentaux, notamment de cette population sans voix politique, devient de plus en plus important".
Nous dirions même plus : le taux de condamnation de "la Suisse", en fait, ne change rien sur le fond. Au contraire : il montre que la CEDH est plus nécessaire que jamais, et que si, justement, "la Suisse" se fait de plus en plus condamner, alors c'est à nous d'avoir de plus en plus honte de nos lois, de nous en inquiéter et de les changer, et non de s'offusquer que la CEDH rappelle à "la Suisse" des obligations élementaires ratifiées et approuvées.
Droits individuels vs faux droits des nations
la population n’a cure des grands principes et des engagements internationaux lorsqu’elle juge, à tort ou à raison, que ces derniers entrent en contradiction avec les intérêts du pays, et ce tout particulièrement en matière de droit des étrangers.
Mais peut-on vraiment parler de "nous", "la Suisse", etc ? Ce n'est pas pour rien que nous avons mis les guillemets.
Un pays n'a pas d'intérêts, seuls des individus ont des intérêts et des droits. Et rappellons que les étrangers sont (sans doute faut-il le rappeler) des êtres humains. Une atteinte à leurs droits est donc une atteinte aux droits universels de tous les êtres humains, y compris les Suisses. Et c'est vrai aussi bien au sens abstrait, qu'en pratique : il est rare qu'une restriction du droit d'un étranger n'affecte pas aussi les Suisses qui se voient privés de leurs interactions avec lui. (Interdire à un étranger d'être engagé par un Suisse, c'est aussi interdire au Suisse d'engager l'étranger, par exemple.)
Pas plus qu'une montagne ne fait la guerre, ce n'est pas la Suisse ou ses habitants qui sont "condamnés" par la CEDH ; seules des personnes peuvent être condamnées, puisque seules des personnes peuvent commettre des crimes. Et d'ailleurs "la Suisse" n'est pas "condamnée" (est-elle envoyée en prison ?). En réalité, pour exprimer les choses correctement : les juges suisses reçoivent une injonction de la part de la CEDH, les priant de rectifier leur décision prise à l'encontre de personnes se trouvant en Suisse.
Clarifions donc :
- certaines personnes (se trouvant en Suisse) sont condamnées par d'autres personnes ("les tribunaux suisses, c'est à dire les juges suisses") ;
- d'autres personnes (les juges de la CEDH) rappellent aux secondes les droits individuels des premières ;
- certaines personnes approuvent cette rectificaiton d'une injustice, alors que d'autres s'en désolent.
Droits individuels vs faux droits positifs
Unhaltbar ist dabei: Aus den ursprünglichen, unbestrittenen Rechten, die Individuen vor dem Staat zu schützen, leiten die Richter hemmungslos individuelle Ansprüche auf Leistungen des Staates ab. Geht das so weiter, dürfte der Tag kommen, an dem die Schweiz die Konvention kündigt.
Certes, il y a bien un vrai problème derrière tout cela : la confusion entre droits négatifs et droits positifs.
Si on n'avait pas mélangé vrais droits et faux droits, nous n'en serions pas là : confronté à une fausse dichotomie entre abandonner tous les droits, et préserver l'actuelle défense combinée de droits positifs et négatifs....
En mélangeant les vrais droits, comme celui de ne pas subir d'agression, de ne pas être expulsé de chez soi (car un étranger qui réside en Suisse est bien chez lui, dans son appartement, avec son emploi, sa famille, ses amis, etc), et les faux droits (recevoir de l'aide de l'Etat, ne pas être "discriminé" par d'autres personnes, suisses ou étrangères, etc), nous voici dans cette situation confuse : une fausse dichotomie entre package-deals...
Mais pourquoi s'attaquer à des conséquences du problème, et non au vrai problème ? Le vrai problème étant : l'existence même de faux droits, l'Etat social, etc. Et le racisme que la redistribution des Suisses vers les étrangers génère, n'est la faute ni des Suisses, ni des étrangers, mais bien d'une politique qui dresse les uns contre les autres en rendant leurs intérêts antagonistes (lutte pour les deniers publics) et non complémentaires (coopération par le marché).
Restaurer le Droit, le vrai
les individus ont des droits, et que ces droits sont indépendants de l'autorité sociale, qui ne peut leur porter atteinte sans se rendre coupable d'usurpation.
Les droits de l'homme sont les mêmes pour tous. Au lieu de s'indigner que "la Suisse" soit rappelée à l'ordre par la CEDH, il faut se mettre à la place des personnes condamnées, et se rendre compte qu'elles ont les mêmes droits individuels que "nous". En tant qu'individus, c'est donc bien une victoire de nos droits, et non une condamnation de "la Suisse" par "des juges étrangers".
Et si la reconnaissance de vrais droits implique une reconnaissance parallèle de faux droits, alors c'est ce lien-là qu'il faut couper - et non dénoncer l'ensemble des droits de l'homme.
Autrement dit, il serait plus que temps de cesser de dénoncer comme "abus" des résultats inévitables de mauvaises législations "sociales" mises en place. Dans une société libre, l'immigration ne doit être ni entravée, ni subventionnée. Tout simplement. Chacun doit voir reconnu son droit d'aller où bon lui semble - pour autant que quelqu'un soit disposé à l'accueillir, d'une façon ou d'une autre (oeuvres d'entraide privée, emploi, tourisme, etc).
Le vrai problème n'est donc pas que le droit suisse serait menacé par le droit international, mais bien plutôt que le Droit est menacé par de faux droits. De faux droits sont ajoutés au paquet "droits de l'homme", et ceux qui s'indignent des faux droits en viennent à oublier qu'il en existe de vrais...
Dans tous les cas, le problème ne sont pas les droits de l'homme, ni les rappels à l'ordre de la CEDH, mais bien leur application par le législateur suisse.
Pour quand, dès lors, une initative "pour la primauté du Droit", tout court ?