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Politique migratoire : le retour nécessaire à une plus grande liberté

Introduction

La politique migratoire suisse est au cœur de nombreux débats. Que ce soit le domaine de l’asile, le problème de la violence due aux étrangers ou la question des naturalisations, les controverses sont nombreuses. Dans un pays traditionnellement très ouvert, comptant 28% de résidents étrangers ou naturalisés suisses au cours de leur vie[1], les questions portant sur leurs droits et leur nombre n’ont eu de cesse d’être débattues.

Le présent rapport a pour objectif de clarifier ces questions en les éclairant sous une perspective libérale, tout en proposant des pistes de réforme qui permettraient de dépasser les controverses actuelles.

Liberté de mouvement

Le libéralisme consiste à reconnaître l’identité des droits de tous les êtres humains — quelle que soit leur nationalité. Ces droits peuvent être déduits du droit de propriété, soit le droit de chaque personne au respect de ce qui lui appartient : sa vie, son corps et ses biens. De ce droit découle la liberté de chacun de disposer de sa propriété à sa guise — dans les limites posées par le droit de propriété d’autrui.

Le libéralisme est ainsi un humanisme — il respecte chaque être humain en tant qu’être humain — et sa perspective de droits universels est équivalente à celle des droits de l’homme bien compris.

La liberté de mouvement découle tout naturellement du droit de propriété : acquérir une maison et pouvoir y emménager où qu’elle se trouve, prendre un emploi ou même acheter un billet d’avion et louer une chambre d’hôtel sont autant d’échanges relevant du droit de propriété, et qui ne devraient par conséquent nécessiter le consentement que de ceux qui y prennent part.

Égalité et discriminations

Bien que la Constitution suisse réaffirme le principe que « tous les êtres humains sont égaux devant la loi »[2], toute discrimination entre étrangers, ou entre étrangers et citoyens, faite par l’État, en constitue a priori une violation.

Nous pouvons distinguer deux types de discrimination : d’une part, celles qui n’apparaissent comme des discriminations que du point de vue de « l’égalité devant la loi », et, d’autre part, celles qui nous préoccupent ici, les discriminations qui enfreignent l’identité des droits fondamentaux de tous.

Les premières prennent généralement la forme de privilèges accordés à certains et refusés à d’autres. Ceci est certes discutable, mais n’implique pas en soi une violation de l’égalité en droit libérale ou des droits de l’homme. Nous pouvons mentionner parmi celles-ci le droit de vote, lequel, plutôt qu’un droit, constitue un pouvoir de participer à la prise de décision de l’État, ou encore le fait que certains emplois publics sont réservés aux Suisses.

Les secondes, plus graves, sont des atteintes aux droits fondamentaux des individus de ne pas subir d’atteinte à leur propriété. Elles affectent ainsi la liberté de chacun de disposer de sa vie et de ses biens et sont donc clairement à proscrire du point de vue de la perspective de l’identité des droits de tous qui est celle du libéralisme. Ainsi, par exemple, non seulement les personnes d’autres nationalités n’ont pas un même droit reconnu à venir en Suisse que celles possédant la nationalité suisse, mais, qui plus est, les permis de séjour ne sont pas accordés aux mêmes conditions à tous les étrangers[3]. Ou encore, les étrangers, contrairement aux Suisses, peuvent être expulsés du pays en plus d’une condamnation pénale[4].

Les frontières, les discriminations étatiques et les contrôles douaniers (que ce soit pour le contrôle des marchandises ou des personnes) semblent difficilement conciliables avec une société libre respectant le droit de propriété et l’égalité en droit. La distinction entre immigration « légale » et « illégale » apparaît dès lors comme fondamentalement arbitraire et discriminatoire, en plus d’être inefficace[5].

Inconvénients de l’immigration

Cependant, dans le contexte actuel, où les interventions de l’État sont nombreuses et le droit de propriété pas toujours garanti, la situation devient complexe. Vu le manque de sécurité assuré à l’intérieur d’un pays, les frontières en viennent à avoir un rôle de protection à jouer.

Pour un pays comme la Suisse, entouré de pays avec des taux de criminalité plus élevés et des niveaux de vie plus faibles, il peut être plus simple, voire même préférable en termes de protection des libertés d’effectuer des contrôles aux frontières, plutôt que de renforcer la surveillance policière intérieure[6]. En effet, les étrangers représentent une part importante de la criminalité. Dans son rapport sur cette question, le Groupe de travail Criminalité des étrangers de la Conférence des chefs des départements cantonaux de justice et police et du Département fédéral de justice et police constate qu’abstraction faite des infractions aux règles de la circulation routière, aux dispositions du droit des étrangers et au code pénal militaire, la proportion des personnes condamnées est de 0,3% de la population de nationalité suisse, de 0,6% de la population de nationalité étrangère et de 4% des requérants d'asile. La proportion d’étrangers la plus forte se situe parmi les condamnations pour infractions violentes (82%), trafic de stupéfiants (80%) et cambriolages (64%)[7].

D’autre part, les politiques sociales « généreuses », financées par les résidents, empêchent bien entendu un pays d’accueillir « toute la misère du monde », c’est-à-dire un nombre illimité de migrants en quête d’un plus grand bien-être économique, et impliquent donc nécessairement un filtrage des entrées. En outre, tant les lois restreignant la liberté des résidents actuels de s’associer ou non aux immigrés que les politiques redistribuant des ressources des uns vers les autres fournissent des raisons légitimes aux résidents actuels de s’opposer à davantage d’immigration.

Pour ces raisons, certains penseurs libéraux en sont venus à défendre une immigration limitée, en partant du principe que l’État devrait agir comme un propriétaire responsable et laisser entrer uniquement les personnes qu’il est dans l’intérêt des résidents actuels de laisser entrer[8].

Il ne fait aucun doute que l’immigration implique à la fois des conséquences positives et négatives. Mais il faut également reconnaître que dans une société où l’État intervient à de nombreux niveaux, certains des problèmes liés à l’immigration peuvent être liés non pas aux étrangers en tant que tels, mais à de mauvaises politiques.

Lois sur les étrangers et sur l’asile : un siècle de durcissements

La politique des étrangers et la politique d’asile ont subi des évolutions législatives parfois distinctes, mais la séparation entre les deux n’en demeure pas moins discutable. En effet, tant l’une que l’autre impactent la liberté de mouvement.

Durant le XXe siècle, une dizaine d’initiatives populaires visant à restreindre le nombre d’étrangers en Suisse ont été rejetées. Pourtant, en un siècle les conditions ont bien changé, même les initiatives rejetées donnant souvent lieu à des « contre-projets indirects » abondant dans leur sens. Le bref historique qui suit ne prétend pas à l’exhaustivité, mais vise à montrer les grandes lignes de l’évolution de la politique migratoire et en quoi elles sont critiquables du point de vue libéral.

Libre circulation d’antan

Avant la Première Guerre mondiale, la Suisse avait signé avec de nombreux autres États des traités prévoyant une égalité de traitement entre leurs ressortissants et les Suisses : « Les Français seront reçus et traités dans chaque canton de la Confédération, relativement à leurs personnes et à leurs propriétés, sur le même pied et de la même manière que le sont ou pourront l’être à l’avenir les ressortissants des autres cantons »[9]. La même chose ou presque valait alors notamment pour les ressortissants de l’Espagne, de l’Italie, de la Monarchie austro-hongroise, de l’Empire allemand, de la Belgique, du Danemark, du Royaume-Uni, des Pays-Bas et même des États-Unis, de la Colombie et de l’Équateur.

De plus, le principe de la liberté d’établissement était en pratique appliqué même pour les ressortissants des États avec lesquels la Suisse n’avait conclu aucun accord d’établissement. Le séjour ou l’établissement n’était refusé qu’en cas de menace de la sécurité et de l’ordre publics[10]. Ainsi, c’était le principe de la libre circulation de tous qui prévalait.

Fermeture d’après-guerre

Durant la Première Guerre mondiale, le Conseil fédéral profite de ses pouvoirs extraordinaires de temps de guerre pour soumettre l’entrée et le séjour des étrangers à un contrôle général par la police des étrangers. Les traités prévoyant une libre circulation des personnes sont dès lors interprétés dans un sens laissant toute liberté… à la Confédération de décider qui peut ou non entrer sur le territoire suisse. La loi sur les étrangers de 1931 entérine ce changement de politique, tout en introduisant la notion de « surpopulation étrangère »[11].

Dès les années 1960, l’immigration commence à être sérieusement limitée, prétendument pour des « raisons économiques », mais en réalité sans argument fondé sur des théories économiques valables. Parmi ceux à s’en réjouir, mentionnons les syndicats, favorables à un protectionnisme du travail en faveur de leurs membres. Des mesures absurdes de limitation du développement économique sont prises, visant à limiter la croissance du nombre d’employés des entreprises, voire à tenter de le réduire. Ce système de « plafonnement simple » est suivi par un « double plafonnement », qui va jusqu’à interdire l’augmentation de l’effectif des entreprises tout en les poussant à réduire leur personnel étranger[12].

Dans les années 1970, après le rejet relativement serré de l’initiative Schwarzenbach, l’ingérence de l’État dans l’économie au prétexte de la politique migratoire devient encore plus dramatique. L’initiative prévoyait principalement de réduire le nombre d’étrangers à 10% de la population, et ceci pour chaque canton, Genève excepté, pour lequel la limite prévue était de 25%… En outre, elle stipulait que « le Conseil fédéral veille à ce qu’aucun citoyen suisse ne soit congédié en raison des mesures de restriction ou de rationalisation, aussi longtemps que des étrangers, de la même catégorie professionnelle, travaillent dans la même exploitation »[13]. Autrement dit, un système de « préférence nationale », impliquant que l’État dicte aux entreprises qui elles peuvent renvoyer et qui elles doivent garder.

Après son rejet, un système de « plafonnement global » est adopté par la Confédération, dont le fonctionnement semble davantage caractéristique d’une économie planifiée que d’une démocratie libérale. Une bureaucratie lourde et coûteuse est introduite, ainsi qu’un fichage des étrangers.

L’Ordonnance limitant le nombre des étrangers (OLE), à la dénomination on ne peut plus claire, toujours en vigueur, détermine ainsi chaque année le nombre d’autorisations devant être accordées aux étrangers, par canton. Les étrangers sont fichés dans un « Registre central des étrangers », « instrument statistique alors le plus coûteux dont disposait la Confédération »[14] et la répartition des forces de travail provenant de l’étranger ne se fait plus par le libre jeu du marché, mais par un processus bureaucratique, passant par l’administration fédérale puis par des commissions tripartites au niveau des cantons.

La crise du milieu des années 1970 implique un non-renouvellement des permis de travail pour environ 100 000 résidents étrangers, la préférence nationale étant là encore promue pour les licenciements dus à la crise. L’argument économique de « l’exportation du chômage » est pourtant discutable : le chômage ne saurait dépendre aussi simplement de la population, comme s’il suffisait de la réduire pour le faire disparaître.

Politique des trois cercles

En 1991, la Suisse adopte la fameuse « politique des trois cercles ». Celle-ci se base sur une discrimination explicite des étrangers, les divisant en trois catégories[15] :

  1. Le « cercle intérieur », c’est à dire les pays de l’UE et de l’AELE, avec lesquels la Suisse doit progressivement adopter la libre circulation des personnes ;
  2. Le « cercle médian », soit les pays « culturellement proches », avec lesquels il s’agit de pratiquer une politique modérément restrictive de « recrutement restreint » ;
  3. Le « cercle extérieur », soit le reste du monde, auquel l’immigration doit être en principe fermée, à de rares exceptions près. 

Si la notion de cercle intérieur, certes déjà problématique, se base sur une définition claire, ce n’est guère le cas de la distinction entre cercle médian et cercle extérieur. Parmi les critères énoncés par le Conseil fédéral censés permettre la distinction, deux sont tout particulièrement critiquables.

D’une part, « la reconnaissance et le respect effectif des droits de l’homme dans ces pays » : est-il vraiment pertinent de couper l’immigration « économique » en provenance de tels pays, alors que leurs ressortissants risquent de les fuir et de demander ensuite l’asile ?

D’autre part, « l’appartenance de ces pays à la même culture (marquée par les idées européennes au sens large), étant entendu que leurs conditions de vie sont similaires aux nôtres ». Il est certes compréhensible et normal que de nombreux individus se sentent plus proches de personnes avec lesquelles ils partagent une même culture. Il serait donc normal de laisser à chacun la liberté d’en juger par lui-même, par exemple en choisissant ou non d’employer des personnes d’autres cultures, en jugeant par lui-même si ces personnes ont des valeurs suffisamment proches des siennes pour pouvoir travailler ensemble. Cependant, cette notion de « proximité culturelle » reste justement individuelle et subjective ; il est donc très contestable qu’un État s’en prétende le juge.

Cette distinction a d’ailleurs contraint le Conseil fédéral à formuler une réserve pour l’adhésion de la Suisse à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, réserve justifiée par l’argument poétique que « bien que la politique suisse en matière d’admission ne poursuive nullement des buts de discrimination raciale, il n’est pas exclu que l’on puisse lui reprocher de produire un tel effet »[16].

Nouvelles lois et prochaines révisions

La politique actuelle est désormais marquée d’une part par une collaboration et une libre circulation accrue avec l’Union européenne (accords bilatéraux), et d’autre part par davantage de restrictions envers les personnes provenant du reste du monde. La nouvelle Loi sur les étrangers (LEtr), accompagnée d’une révision de la Loi sur l’asile (LAsi), acceptées en votation populaire le 24 septembre 2006, introduisent ainsi de nouveaux durcissements sous prétexte de « lutte contre les abus ». Comme auparavant, cette nouvelle loi, cette révision et les modifications qui les accompagnent impliquent une intrusion croissante de l’État dans la vie privée et économique : surveillance accrue des mariages[17], obligation pour les compagnies aériennes d’effectuer un contrôle accru des papiers d’identité[18], sanctions pénales plus sévères pour ceux qui emploieraient des « sans-papiers »[19], et même perquisitions sans mandat[20]. En outre, les droits de l’enfant ne semblent guère garantis[21], et même la liberté médicale s’en trouve menacée[22].

L’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE) constate notamment que les droits de l’enfant, pourtant censés être garantis par la Convention des droits de l’enfant que la Suisse a ratifiée, passent au second plan dès qu’il est question d’expulser des étrangers. L’ODAE signale ainsi que même des enfants de nationalité suisse peuvent être expulsés avec leur mère étrangère[23].

La politique ainsi entérinée a des conséquences dramatiques sur le plan humain. Ainsi, Amnesty International dénonce plusieurs cas de personnes qui ont été arrêtées à leur retour dans leur pays après une décision négative sur leur demande d’asile. Parmi ces cas, mentionnons celui d’un Birman arrêté après son renvoi en Birmanie, torturé pendant trois jours et condamné à 19 ans de prison, « sept ans pour activités politiques, sept ans pour avoir demandé l'asile dans un pays étranger et cinq ans pour utilisation d’un “faux passeport” ». Amnesty International analyse d’ailleurs que l’ODR a supposé qu’en tant que persécuté politique, Stanley Van Tha n’aurait pas pu recevoir un passeport dans son pays et sortir légalement du Myanmar. Le fait de posséder ce genre de documents aurait visiblement été interprété comme une raison suffisante pour ne pas lui octroyer le statut de réfugié. Et paradoxalement, relève Amnesty International, la Loi sur l’asile révisée prévoit aujourd’hui de refuser d’entrer en matière sur les demandes d’asile de personnes dépourvues d’un passeport ou d’une carte d’identité valable[24].

Cette non-entrée en matière en cas d’absence de pièces d’identité est en vigueur depuis le 1er janvier 2007 : « Il n’est pas entré en matière sur une demande d’asile si le requérant ne remet pas aux autorités, dans un délai de 48 heures après le dépôt de sa demande d’asile, ses documents de voyage ou ses pièces d’identité »[25] Or, une personne persécutée peut ne pas toujours avoir les documents requis ; ce refus d’entrer en matière, appliqué très strictement[26], s’avère donc problématique.

Parmi les prochains durcissements prévus, signalons que « sera puni de l’amende […] celui qui […] aura, en tant que requérant d’asile, déployé des activités politiques publiques en Suisse uniquement dans l’intention de créer des motifs subjectifs survenus après la fuite au sens de l’art. 54 »[27]. Lequel article 54 de la loi actuelle prévoit que « l’asile n’est pas accordé à la personne qui n’est devenue un réfugié au sens de l’art. 3 qu’en quittant son État d’origine ou de provenance ou en raison de son comportement ultérieur »[28]. Autrement dit, une atteinte à la liberté d’expression, qui implique par exemple qu’une personne critiquant un régime dictatorial depuis la Suisse risque de voir sa demande d’asile refusée et de devoir en plus payer une amende[29].

L’évolution globale au cours du XXe siècle a donc été une limitation croissante de l’immigration, prenant systématiquement la forme d’entraves de l’État à la liberté d’association et à la liberté personnelle en général. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si le XXe siècle aura été à la fois le « siècle de l’État » et celui des restrictions légales à l’immigration.

Une politique coûteuse

L’avantage économique principal de l’immigration est bien connu : par le fait que les étrangers prennent le « travail dont les Suisses ne veulent pas », elle permet à ces derniers de se spécialiser dans des activités à plus forte valeur ajoutée, et donc entraîne une amélioration de la productivité, une baisse des prix et finalement une amélioration du niveau de vie de tous. Dans la mesure où elle est restrictive, la politique migratoire limite ces avantages, dans une mesure difficile à chiffrer. Il est particulièrement absurde sous cet angle de laisser venir des étrangers tout en leur interdisant de travailler, comme c’est parfois le cas pour les requérants d’asile[30] et les étudiants[31].

La politique migratoire actuelle implique en outre d’autres types de coûts :

  • les coûts directs du contrôle de l’immigration, de la procédure d’asile, etc. ;
  • les coûts indirects, liés à la politique sociale en général.

Coûts directs

Le système de l’asile, qui implique une longue procédure et un taux de reconnaissance plutôt faible[32], entraîne une lourde bureaucratie, le maintien de bases de données, des contrôles et l’aide sociale versée aux requérants. Les dépenses de l’Office fédéral des migrations avoisinent ainsi le milliard de francs par année[33].

Sans même parler des coûts pour les cantons, nous pouvons ajouter à ces coûts diverses dépenses fédérales telles que 898 200 francs pour des « Mesures de prévention du racisme »[34], une subvention de 500 000 francs par année versée à l’Organisation internationale pour les migrations[35], la Commission fédérale contre le racisme, qui dispose d’un budget annuel d’environ 155 000 francs[36], ainsi que la Commission fédérale pour les questions de migration, qui finance des projets à hauteur de plus d’un million de francs par année[37].

Il faut également mentionner les coûts du contrôle des frontières, soit les douanes, les gardes-frontière, etc., même si ceux-ci ne pourraient évidemment pas être réduits à zéro sans autres ajustements institutionnels. Le système sécuritaire modifié découlant des accords de Schengen et de Dublin, entrés en vigueur en Suisse en 2008, occasionne des coûts opérationnels évalués entre 35 et 37 millions de francs par an[38]. L’Administration fédérale des douanes, dont le budget annuel s’élève à quelque 524 millions de francs en 2009[39], s’occupe par ailleurs également du contrôle des marchandises et du prélèvement de divers impôts et droits de douane, ce qui génère d’autres types de coûts[40].

Coûts indirects

Pour ce qui est de la politique sociale, les étrangers sont surreprésentés parmi les bénéficiaires de l’assurance invalidité (35% des cas[41]), parmi les personnes sans emploi (45% des cas[42]) et parmi les bénéficiaires de l’aide sociale (44% des cas[43]). Cette surreprésentation peut sans doute être due, du moins en partie, à une surreprésentation des étrangers dans des catégories socio-professionnelles elles-mêmes plus exposées au besoin de ces aides (emplois manuels, emplois peu rémunérés, etc.).

Cependant, dans un système où ces assurances sont obligatoires, et les coûts collectivisés même à des personnes qui n’en veulent pas, l’immigration peut avoir des coûts qui dépassent les bénéfices pour certaines personnes[44], qui trouvent dès lors des raisons légitimes de s’y opposer.

Les étrangers viennent-ils prendre le travail des Suisses ?

Parmi les coûts attribués à l’immigration, l’un est implicite dans de nombreux points de vue, tout en étant fallacieux. Il s’agit de la critique contre les étrangers qui viendraient « voler le travail des Suisses », ou plus généralement des arguments concernant le marché du travail. Cet argument, malgré son attrait superficiel, repose en réalité sur une série de sophismes.

Premièrement, il présuppose que chacun aurait un droit sacré de conserver son travail. Or, un travail n’est pas une propriété, mais un contrat. Et ce contrat ne provient pas d’un « droit » octroyé par un passeport, mais de l’accord entre l’employé et l’employeur.

Deuxièmement, il repose sur le mythe qu’un emploi serait important en tant que tel, et qu’il faudrait le préserver à tout prix, même s’il ne produit rien. Cependant, contrairement à la théorie marxiste de la valeur-travail, un travail a de la valeur non pas en fonction du temps passé et de l’effort investi, mais en fonction de son utilité. Ainsi, un pays qui garantirait le plein-emploi en employant la moitié des travailleurs à creuser des trous et l’autre moitié à les remplir ne serait pas très prospère. Ce qui est bien plus important est donc la richesse produite. En remplaçant des travailleurs par des machines, en fabriquant moins cher à l’étranger, ou en engageant des étrangers directement en Suisse, l’efficacité s’en retrouve gagnante. La richesse de tous augmente, et les Suisses se spécialisent dans des activités où ils ont un plus grand avantage comparatif, tout en profitant de prix plus faibles sur les autres biens et services, et voient leur revenu réel augmenter.

Troisièmement, il suppose qu’il y aurait un stock fixe d’emplois[45], à répartir au choix entre les Suisses et les immigrés. Or, les besoins et les désirs humains à satisfaire étant illimités, le nombre d’emplois potentiels l’est également. Le vrai problème est bien sûr de disposer de suffisamment de richesses pour pouvoir se permettre davantage de consommation. Et justement, lorsqu’un emploi est productif, il crée de la richesse.

Si certains ne retrouvent pas du travail, au lieu de prendre les étrangers pour boucs émissaires, il faut chercher les vraies causes. En premier lieu, les lois restreignant le licenciement et les autres réglementations du marché du travail sont autant de facteurs qui limitent sa fluidité, et donc allongent la durée du chômage[46].

En outre, les impôts sur les entreprises, en réduisant le rendement du capital, poussent les salaires à la baisse et limitent les créations d’emplois par les entreprises. En limitant le revenu des salariés, les impôts sur le revenu limitent leur épargne, donc les ressources disponibles pour l’investissement, donc, à nouveau, les possibilités de création d’emplois par les entreprises. Enfin, les politiques protectionnistes de l’État, dans le domaine agricole notamment, idéalisent des secteurs à faible valeur ajoutée et encouragent l’acquisition de compétences dans des domaines sans grand avantage comparatif pour la Suisse. De plus, en subventionnant l’emploi dans certaines activités plutôt que d’autres, l’État crée des distorsions du marché, en empêchant les travailleurs d’aller là où ils sont le plus productifs et l’investissement d’encourager les entreprises les plus efficaces, et au final, là encore, renforçant le problème du chômage.

L’arrivée d’étrangers ne cause donc pas du chômage… pas plus que la participation des femmes au marché du travail ou l’entrée des jeunes dans la vie active.

Libre mobilité internationale plutôt que contingentement bureaucratique

L’approche libérale à la question de l’immigration et de l’asile peut être résumée par l’idée que l’immigration, qu’elle soit due à des motifs économiques ou non, ne devrait être ni entravée ni encouragée.

La distinction entre politique des étrangers et politique d’asile apparaît comme superflue et coûteuse. L’État ne devrait pas avoir à juger des motifs de la venue en Suisse, ni l’aider ou l’empêcher. Une politique d’immigration libérale rendrait ainsi le système d’asile dans son ensemble, avec les coûts, les drames et les contrôles qu’il implique, complètement caduque. Les personnes persécutées dans leur pays viendraient librement chercher refuge en Suisse, où elles seraient naturellement amenées à trouver du travail. Des organisations d’aide privées pourraient s’occuper de les y aider et éventuellement les soutenir financièrement de façon provisoire ou permanente si elles l’estiment nécessaire.

L’État n’aurait plus à contrôler ni les mariages, ni les entreprises, ni plus généralement les particuliers. L’immigration serait alors remplacée par une mobilité internationale qui relèverait uniquement du domaine qu’elle n’aurait jamais dû quitter : celui de la liberté d’association, de la liberté économique et de la liberté contractuelle.

Alors que la politique migratoire n’est qu’une série de compromis visant à satisfaire tant bien que mal différents groupes de pression, le rétablissement de la liberté de mouvement permettrait une individualisation des choix — et donc une plus grande diversité de possibilités migratoires couplée à une meilleure adéquation avec les préférences des résidents actuels. Dans une société libre, chacun serait ainsi libre d’inviter ou non des personnes provenant d’autres lieux géographiques. Le droit de propriété, tout en justifiant la liberté de mouvement, en pose donc également la limite : chacun serait libre de refuser de financer la venue d’autres personnes. En dépolitisant les migrations, les conflits inhérents à des choix pris au nom de populations entières seraient donc également désamorcés.

Enfin, il convient de souligner qu’une non-reconnaissance des droits des étrangers implique souvent une non-reconnaissance similaire des droits des Suisses. Ainsi, la liberté des Suisses d’épouser, d’employer, d’héberger ou même de soigner les personnes de leur choix s’en trouve impactée et réduite. Il est donc fallacieux d’opposer d’un côté les « intérêts nationaux » et de l’autre « les étrangers ». En réalité, une restriction des droits universels a une portée tout aussi universelle.

Il serait bien sûr naïf de s’imaginer qu’une ouverture complète des frontières décidée sans aucun autre changement institutionnel parallèle serait sans conséquences négatives. Mais il serait tout aussi naïf d’espérer que les innombrables durcissements et contrôles, aussi coûteux et intrusifs qu’ils soient, puissent permettre un contrôle efficace de l’immigration. Les exemples historiques ou actuels d’autres pays montrent que même des barrières physiques surveillées ne sont pas des barrières imperméables à l’immigration.

Une approche pragmatique peut dès lors être également une approche humaniste : reconnaître l’inefficacité du contrôle étatique de l’immigration et laisser la possibilité à tous de venir, dans le cadre du respect des droits de propriété des résidents. Cela nécessite de mettre fin aux mauvaises incitations et possibilités d’abus à leur source, en supprimant le système de l’asile et de l’aide sociale bureaucratiques et en restaurant la responsabilité individuelle au sein de la société civile.