Institut Laissez-faire : La liberté sans compromis.

Pourquoi aimer la Suisse ?

Le 1er août, nous célébrons la Suisse et son indépendance. Naturellement, nous célébrons notre attachement à notre pays, à notre culture, à nos lacs et nos montagnes, à notre mode de vie, notre histoire et nos concitoyens.

Mais plus que dans n'importe quel autre pays, le patriotisme suisse est avant tout un patriotisme constitutionnel, notion que nous devons au philosophe allemand Jürgen Habermas mais qui fut reprise par les politologues suisses. Nos régions linguistiques différentes, nos différentes religions et cultures, nos cantons indépendants, font que contrairement aux Etats-nations classiques, ce qui nous lie n'est pas tant une langue, une religion ou une culture commune mais avant tout un attachement à des valeurs communes. Le patriotisme suisse est en cela d'autant plus légitime, car il repose sur un choix délibéré de valeurs reconnues comme justes, et non sur un simple attachement à certaines traditions pour elles-mêmes.

Quelles sont ces valeurs suisses si typiques? Traditionnellement, sont citées la démocratie directe, le fédéralisme et la neutralité. Nous allons développer le bien-fondé de ces valeurs et expliciter d'autres valeurs politiques qu'elles ont pour conséquence. Nous nous demanderons ensuite dans quelle mesure ces valeurs sont aujourd'hui prises au sérieux par ceux qui ont la charge et la responsabilité de les préserver.

La démocratie directe : le pouvoir au peuple 

Si d'autres pays ont certes des référendums, aucun n'a une démocratie directe aussi étendue que la nôtre. La tradition authentique suisse est la Landsgemeinde, où toutes les décisions qui concernent l'ensemble de la communauté sont prises à une quasi-unanimité lors d'une réunion des citoyens libres et armés. Nous sommes donc très loin de la philosophie d'une « social-démocratie » où une majorité étroite se permet de confisquer les biens d'une minorité. 

La démocratie directe bien comprise consiste ainsi à laisser le peuple décider des affaires qui le concernent. Au-delà du droit de vote, cela implique deux choses : d'une part le fédéralisme, autre tradition suisse que nous développerons ci-dessous, et d'autre part le marché libre. Voter, c'est aussi voter avec ses pieds (en changeant de canton, profitant du fédéralisme), et voter avec ses francs, en décidant librement sur le marché quels bien acquérir, quelles activités culturelles soutenir, dans quelle entreprise investir.

Le pouvoir au peuple implique aussi de disposer d'une monnaie forte et d'avoir ainsi la sécurité de son épargne, plutôt que d'être impuissant face à l'inflation. Le pouvoir de décider librement comment voter avec son argent, de l'investir ou de le dépenser, nécessite une monnaie non-manipulée par quelques technocrates pour leur propre profit. Le franc fort suisse est ainsi une monnaire qui fut relativement moins dévaluée ces 100 dernières années que toutes les autres, source de stabilité économique et d'investissements placés dans notre pays.

Le fédéralisme : le principe de subsidiarité

Un fédéralisme bien compris implique de décentraliser la prise de décision à l'échelon le plus directement concerné, soit l'unité politique la plus locale possible, soit, idéalement l'individu lui-même. L'économiste Ludvig von Mises, dans son livre Liberalismus, publié en 1927, quelques années à peine avant qu'il ne fuie l'arrivée du national-socialisme en Autriche pour venir enseigner à Genève, consacre ainsi un chapitre au droit à l'auto-détermination. Il conclut:  »le droit à l'auto-détermination dont nous parlons n'est pas celui des nations, mais plutôt celui des habitants de chaque territoire suffisamment grand pour former une unité administrative indépendante. S'il était possible d'accorder ce droit à l'auto-détermination à chaque personne individuelle, alors il faudrait le faire ».

Le fédéralisme bien compris est donc parfaitement cohérent avec la démocratie directe bien comprise, puisqu'il implique, lui aussi, de laisser les personnes concernées décider des affaires qui les concernent. Ainsi, les décisions qui concernent des individus doivent être laissées aux individus, celles qui concernent la commune, à la commune, celles qui concernent un canton, au canton, et seules les décisions d'ampleur nationale doivent être du ressort de la Confédération.

Comme corollaires de ce principe, nous avons la concurrence institutionnelle et la concurrence fiscale. Ces deux concurrences permettent une bien meilleure adéquation des préférences des citoyens avec les politiques publiques, un meilleur contrôle sur les dépenses, et, plus généralement, davantage de contrôle des politiciens et de l'Etat. Ce système n'est donc certainement pas étranger au succès tant politique qu'économique de la Suisse. 

La neutralité : le principe de non-ingérance

La neutralité suisse va de pair avec son indépendance : rester neutre et indépendante des puissances étrangères ; ainsi qu'avec le fédéralisme : éviter de prendre des décisions de politique étrangère qui ne seraient pas partagées par l'ensemble des cantons. Si elle implique de ne pas interférer dans les affaires d'autres Etats, elle implique aussi et surtout de ne pas être nous-mêmes inféodés aux politiques d'autres Etats, c'est à dire de rester neutre et indépendants face aux politiques et aux caprices des autres Etats ou groupes d'Etats.

Ainsi, la neutralité suisse implique de rester à l'extérieur de l'Union européenne, par exemple, ce qui nous aura évité notamment de reprendre ses mauvaises politiques économiques.

Mais la neutralité bien comprise, en tant que principe général, peut être appliquée à d'autres domaines. Elle mène à une neutralité de l'Etat fédéral vis-à-vis de ce qui ne le concerne pas directement (le fédéralisme) et plus généralement à un Etat limité, neutre face aux décisions d'ordre non-politique de ses citoyens, en matière de religion ou de choix de vie par exemple. 

Liberté économique : laissez-faire

Le principe de laisser les personnes concernées décider des affaires qui les concernent, application de la démocratie directe et du fédéralisme, se traduit sur le plan des libertés dites « économiques » par le laissez-faire : laisser chacun décider librement de ce qu'il fait avec ce qui lui appartient.

Ainsi, la Suisse n'a pas de salaire minimum légal, contrairement même aux Etats-Unis, et son marché du travail est relativement flexible. Ce n'est sans doute pas un hasard si nous avons en parallèle un chômage des jeunes relativement faible, comparé notamment aux autres pays européens. Vide juridique bienheureux que certains visent à compromettre par une initative populaire introduisant un salaire minimum fédéral...1

De même, le poids de l'Etat demeure relativement faible en comparaison internationale, malgré sa croissance explosive et regrettable de ces dernières décennies, et la création d'entreprises reste relativement aisée.

Patriotisme constitutionnel : universalité et tolérance

Et enfin, un patriotisme constitutionnel et non nationaliste a comme conséquence la tolérance et l'universalité du Droit : n'importe qui peut et doit pouvoir se rattacher aux valeurs suisses, quelle que soit son origine ethnique ou nationale. Ces valeurs étant universelles, lorsqu'elles sont bien comprises, elles doivent pouvoir s'appliquer à tous et à toutes.

Une dérive dangereuse : la trahison des valeurs suisses

Bien sûr, la Suisse n'est pas parfaite. Mais ce qu'on peut lui reprocher fait-il partie intégrante de la tradition suisse, ou au contraire sont-ce les écarts de cette tradition qui constituent une dérive dangereuse ?

De manière générale, les valeurs suisses semblent ainsi, pour certains, être vécues plus comme une honte que comme la source de fierté qu'elles devraient être.

Franc fort et paradis fiscal : Les exemples les plus flagrants en sont donnés par l'accusation de «paradis fiscal» , ou l'inquiétude suscitée par le « franc fort », deux reproches qui ont le double défaut d'être absurdes en principe et infondés en réalité : paradis est un terme positif, et une monnaie forte est le but de toute bonne politique monétaire ; cependant, les impôts suisses sont encore bien trop élevés, et la force du franc est toute relative.

La démocratie directe : La démocratie directe est mise à mal par une intégration de plus en plus grande dans l'Union européenne (reprise de l'acquis de Schengen, demande d'adhésion à l'UE toujours non retirée malgré le rejet massif de l'adhésion par la population2), ainsi que par un abandon du secret bancaire alors qu'il est soutenu par la population.

Le fédéralisme : Le fédéralisme a bien changé, avec la croissance de l'Etat central. En 1848, la Confédération comptait 50 fonctionnaires et un budget de 4 millions. Aujourd'hui, elle compte près de 40'000 employés et un budget de 65 milliards. Même les partis traditionnalistes ne se soucient guère de préserver le fédéralisme, dès lors qu'il est question d'étendre la centralisation de la répression des étrangers, par exemple : l'initiative contre les prétendus « étrangers criminels » s'attaquait en réalité au fédéralisme, soit au pouvoir des juges cantonaux d'expulser ou non les étrangers condamnés (certains cantons comme Vaud le faisaient déjà massivement, d'autres comme Genève non). Tout aussi grave, l'impôt fédéral sur le revenu, introduit en 1915 en tant que « impôt de guerre », est toujours prélevé aujourd'hui, renforçant d'autant le poids démesuré de la Confédération par rapport aux cantons, aux communes et au privé.

La neutralité : Là-encore, l'adhésion à l'ONU et le rapprochement avec l'UE semblent faire bien peu de cas de la neutralité suisse... Mentionnons un sabotage délibéré du franc fort de pair avec une dilapidation des réserves d'or du peuple suisse, liant la Suisse à la politique monétaire de l'Union européenne au lieu de rester neutre et indépendante. Tout aussi grave est le fait de céder aux pressions étrangères à propos du secret bancaire. Des Etats incapables de financer leurs politiques économiques pitoyables ont ainsi fait pression sur la Suisse afin d'abandonner sa tradition du secret bancaire. Là-encore, un Etat neutre, indépendant, n'a pas à se soucier de l'avis d'Etats moins respectueux que lui du droit de l'homme que constitue un minimum de respect de la sphère privée financière.

Le patriotisme constitutionnel : Le patriotisme constitutionnel lui-même est mis à mal par une politique migratoire de plus en plus méfiante des étrangers, qui n'a cessé de se durcir depuis un siècle, trahissant les valeurs de tolérance et d'universalité inhérentes au patriotisme constitutionnel suisse.

La liberté économique : La liberté économique, corollaire des autres principes, est également mise à mal par divers projets socialistes adoptés progressivement depuis un siècle : l'AVS, la LAMal, l'assurance-chômage, l'assurance-maternité, l'initative Minder... 

Pour un patriotisme bien compris

Grâce à nos valeurs suisses, notre pays s'en sort toujours bien relativement aux autres Etats : il souffre moins du chômage, il est moins affecté par la crise, il subit moins de criminalité. Il est d'autant plus paradoxal de voir bon nombre de nos politiciens chercher à tout prix à refaire les erreurs que les autres Etats ont commises avant nous, plutôt que de défendre avec force les valeurs suisses qui ont fait notre succès. Comme l'avait résumé Mark Twain, un patriotisme bien compris consiste à à « toujours soutenir son pays, mais ne soutenir son gouvernement que lorsqu'il le mérite ».

Si nous voulons voir notre modèle à succès perdurer, il est donc grand temps d'être plus exigeants de notre gouvernement, afin qu'il défende mieux les valeurs suisses ancrées dans la Constitution que sont « la liberté, la démocratie, l'indépendance et la paix », au lieu de les négliger au profit de visées constructivistes, technocratiques et centralisatrices dangereuses.