La prétention de 13,67% de la population suisse, contre l’avis exprimé de 13,64% de la population suisse, et sans se soucier des droits individuels de 100% de la population suisse présente et future, à faire payer de force les frais de leur propre abonnement radio-TV personnel à l’ensemble de la population suisse, est aujourd’hui officielle.
Après un débat complètement brouillé par rapport aux vrais enjeux : l’absurdité sur le plan économique, l’immoralité sur le plan éthique, et l’illégalité sur le plan constitutionnel du projet de loi, pour ne citer que quelques « points mineurs »...
Comme nous l’avons dit et répété, cette votation consistait en réalité à transformer un impôt sur la possession d’appareils de réception (donc un impôt sur le patrimoine), en impôt sur les personnes physiques et morales (impôt direct de type « poll tax »).
Cette loi contient donc explicitement une prétention de la Confédération à prélever un nouvel impôt direct[1], et qu’elle l’appelle « redevance », « taxe » ou « contribution joyeuse » ne change strictement rien au fait que c’est bien d’un impôt direct sur les personnes physiques et morales qu’il s’agit (nouvelle LRTV, art. 68, al. 1) :
La Confédération perçoit une redevance pour le financement de l’exécution du mandat de prestations constitutionnel en matière de radio et de télévision (art. 93, al. 2, Cst.).
Or, faut-il le rappeler, la Suisse est une fédération (depuis 1848, après avoir été une confédération et ayant gardé ce nom depuis). Sur le plan légal ce sont les cantons qui ont la prérogative de prélever des impôts directs[2]. La Confédération n’y est autorisée que depuis 1915, par des impôts provisoires de « défense nationale » destinés à l’origine à financer l’armée fédérale durant les première et seconde Guerres mondiales. Depuis, cet impôt provisoire ne fut que prolongé (Constitution fédérale, Disposition transitoire ad art. 128), avec à chaque fois l’autorisation constitutionnelle explicite et temporaire du peuple et des cantons :
L’impôt fédéral direct peut être prélevé jusqu’à la fin de 2020.
La dernière proposition légale de le rendre permanent provenait du Parti socialiste, en 1918, et fut refusée.
Or donc, actuellement (Constitution, art. 128 Impôts directs) :
La Confédération peut percevoir des impôts directs:
a. d’un taux maximal de 11,5 % sur les revenus des personnes physiques;
b. d’un taux maximal de 8,5 % sur le bénéfice net des personnes morales;
Il faudra être de bien mauvaise foi (et n’en doutons pas, d’aucuns le seront), pour prétendre que notre Constitution contient un article qui fait la liste de tous les impôts directs que la Confédération peut percevoir, par ailleurs uniquement à titre provisoire jusqu’en 2020, mais que, par ailleurs, elle peut, aussi, sur la base d’une simple loi, en percevoir d’autres à titre permanent, selon son bon vouloir.
Et l’article 93 al 2, censé justifier la LRTV ?
La radio et la télévision contribuent à la formation et au développement culturel, à la libre formation de l’opinion et au divertissement. Elles prennent en considération les particularités du pays et les besoins des cantons. Elles présentent les événements de manière fidèle et reflètent équitablement la diversité des opinions.
Il ne dit strictement rien sur le mode de financement. Il faudra être de mauvaise foi extrême — et d’aucuns le seront certainement — pour prétendre qu’il justifierait à lui seul un mode de financement autre que ceux dont la Confédération dispose déjà légalement (IFD jusqu’en 2020, TVA, impôt sur l'alcool[3], etc).
Ce n’est pas par hasard que les modifications constitutionnelles, dans une fédération comme la nôtre, sont soumises à la double majorité du peuple et des cantons : c’est justement parce que la Constitution règle la répartition de pouvoir entre l’État central et les États fédérés[4]. Et la Constitution les règle, justement, parce que les cantons n’auraient jamais accepté d’entrer dans la Confédération, si une telle protection ne leur avait pas été garantie[5].
Puisque la LRTV implique un nouvel impôt fédéral direct, permanent, prélevé par la Confédération, elle aurait très clairement dû avoir été précédée par une modification idoine de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, qui aurait été alors dûment soumise au vote du peuple et des cantons.
Ce qui nous amène au résultat d’aujourd’hui : la majorité des cantons a refusé la nouvelle loi. La majorité des cantons, donc, a refusé sèchement (16.5 contre 6.5 [!]) d’autoriser la Confédération à percevoir un nouvel impôt direct, sujet sur lequel ils ont leur mot à dire en vertu de la Constitution. Autrement dit :
- le vote sur la nouvelle LRTV aurait dû avoir été précédé par un vote sur une modification constitutionnelle[6] ;
- ce vote aurait été soumis à la double majorité du peuple et des cantons ;
- ces derniers l’auraient refusée ;
- la nouvelle LRTV serait enterrée.
Ce qui explique peut-être pourquoi fut employé le subterfuge d’une « modification purement technique », passant par une discrète loi, soumise uniquement au référendum facultatif du peuple[7], autrement dit, sur laquelle le gouvernement espérait que le peuple ne pourrait pas même se prononcer — et qu’un votant sur deux refusa malgré tout[8].