Institut Laissez-faire : La liberté sans compromis.

Le gag de la « théorie des biens publics »

Si cette campagne kickstarter est couronnée de succès, nous diffuserons ce film de 30 minutes en ligne, gratuitement. Nous voulons que tout le monde puisse voir et apprécier ce film.

Kung Fury

La sortie du film « Kung Fury » il y a quelques jours a une particularité : ce film est impossible. D’après la pseudo-théorie économique enseignée comme parole d’évangile, encore aujourd’hui, dans toutes les universités du monde, en effet, la production de ce film par le marché est impossible, et aurait nécessité l’intervention de la violence armée de l’État pour pouvoir être produit.

Ainsi Mankiw, de l’université de Harvard, dans un manuel très répandu :

Les citoyens de Petiteville, États-Unis, adorent les feux d’artifice de la fête de l’Indépendance du 4 juillet. Chacun d’entre eux valorise l’expérience à 10$. Le marché privé produirait-il le résultat efficace ? Probablement pas. Imaginons qu’Hélène, une entrepreneuse locale, décide d’organiser les feux d'artifice. Hélène aurait certainement de la peine à vendre des billets pour l’évènement, puisque ses clients potentiels se rendraient rapidement compte qu’ils pourraient voir les feux d’artifice même sans payer. Les feux d’artifice sont un bien non-exclusif, les gens ont donc intérêt à devenir des « passagers clandestins». Un « passager clandestin»  est une personne qui profite d’un bien sans le payer.

Et pourtant il fut tourné.

Vous noterez que nous sommes exactement dans le même cas : un nombre restreint de personnes financent la production d’un bien qui devient, une fois produit, disponible gratuitement pour des millions de « passagers clandestins » qui peuvent en profiter exactement autant que s’ils avaient payé, sans avoir déboursé le moindre centime. (À vrai dire, nous sommes dans un cas encore plus difficile, puisque la diffusion du film est mondiale et non locale. L’exemple de Mankiw souffre bien entendu de nombreux problèmes déjà en théorie.)

Et tout ce qu’il a fallu est un simple site web, kickstarter.com, issu du marché libre, donc, pour financer un « bien public » en quelques mois — et non une organisation bureaucratique massive menaçant la population afin de la contraindre à financer une production culturelle donnée. (Site web qui n’est qu’un parmi d’autres proposant ce type de solutions de financement ; de même, notre exemple du film Kung Fury n’est qu’un exemple parmi d’autres des merveilles quotidiennes réalisées par les acteurs économiques collaborant volontairement sur le marché libre et ignorant tout des économistes officiels qui leur auraient affirmé que cela ne fût point possible, eussent-ils commis l’erreur de leur demander permission.)

Le constat de ce paradoxe n’est à vrai dire pas nouveau. Goldin écrivait, il y a 40 ans déjà :

Les phares sont un exemple favori de manuels d’économie de biens publics, car la plupart des économistes ne peuvent concevoir un moyen d’exclusion — tout ce que cela prouve, c’est que les économistes ont moins d’imagination que les gardiens de phare.

Effectivement, les économistes utiles de l’État, pédants et bedonnants, sont incapables de concevoir une solution autre que la violence armée à un problème que quelques jeunes gens — pourtant fans de films d’action violents — résolvent par la coopération pacifique du marché libre en quelques clicks de souris.

Dure réalité économique néo-libérale : les gens ne sont pas aussi mesquins et dénués d’imagination que prévu par la théorie des biens publics des géniaux altruistes bien-pensants — ou serait-ce, justement, que leur théorie ne nous apprend strictement rien sur la réalité, mais nous donne en revanche des informations précieuses sur eux-mêmes ?

La théorie des biens publics dans le bisounoursland...

Mais quelles sont donc les prémisses de cette théorie fantaisiste ? Ça donne à peu près ça :

Il était une fois, avant l’avènement de la Théorie des Biens Publics, le monde en anarchie. Mais tous les jours, les gens, malheureux, se plaignaient : ils rêvaient tous de phares, de feux d’artifice, de RTS et de défense militaire, mais personne n’arrivait à produire ces services utopiques pourtant si ardemment désirés par tous. Un jour, heureusement, arrivèrent les Économistes. Après de longs travaux, ils découvrirent le problème : ces biens étaient publics, et donc impossibles à produire par le marché ! Eurêka et boule de gomme ! L’État fut donc immédiament instauré, à l’unanimité de la population, pour pallier le problème. Et ainsi, tous les biens désirés par la population purent être produits, exactement de la qualité et dans les quantités voulues par elle, et ils vécurent tous heureux et eurent plein d’enfants citoyens-contribuables. The End.

Quelle était donc cette solution miraculeuse ? C’est à peu près la théorie de l’ouvre-boîte magique, de la célèbre blague :

Un physicien, un chimiste et un économiste se retrouvent échoués sur une île déserte. Pour seules provisions, ils disposent de thon en conserves, mais ne savent pas comment ouvrir les conserves... Le physicien propose : « Utilisons la loi de la gravité ! En laissant tomber une pierre sur une conserve, elle s’ouvrira ! » Le chimiste conteste : « Non non, utilisons plutôt les lois de la thermo-dynamique ! Faisons du feu, la chaleur ouvrira bien la conserve ! ». L’économiste les regarde ahuri, et s’étonne : « Mais messieurs, pourquoi se donner tant de mal ? Supposons que nous avons un ouvre-boîte...  »

Supposons donc que nous avons un ouvre-boîte ! Autrement dit, supposons que toute une population soit d’accord, à l’unanimité de 100%, de vouloir un bien exact donné, dans une quantité, dans une qualité et sous une forme donnée. Supposons qu’elle soit disposée pour cela à le payer le prix exact qu’il sera facturé. Et supposons aussi que 100% des membres de cette population renonceraient à produire le bien donné, au moindre risque d’un infâme « passager clandestin ».

Supposons, en somme, que nous avons trouvé un problème réel, et supposons que nous nous sommes rendus utiles en le résolvant. Supposons, enfin, que l’existence de ce « problème » fictif « nous » donne le droit d’user de violence à notre discrétion, contre les membres de cette population, ou même contre des tierces parties. Supposons, donc, que nos théories font de nous des surhommes, nous procurant des droits sur autrui qu’autrui n’aurait pas sur nous. (Après tout, quitte à ignorer les lois fondamentales de l’économie, autant ignorer aussi la loi de l’identité, et le principe de l’identité des droits de tous : on n’est plus à ça près.) Supposons, en somme, que nous ne sommes pas des fumistes. 

... et dans la réalité

Dans la réalité, la théorie des biens publics fut développée ex post, bien après l’apparition des États (généralement par la conquête — en toute cohérence entre la fin et les moyens).

Bien après, aussi, que le marché ait déjà eu fourni les biens même qu'il serait apodictiquement incapable de fournir : les phares, nous l'avons vu, mais aussi...

En 1899, une campagne de publicité du Matin pour une souscription nationale permet de rassembler les fonds nécessaires à la construction de deux sous-marins militaires, "le Français" et "l'Algérien". (Les premiers sous-marins)

 

Le 2 décembre 1912, lors de son Assemblée générale à Fribourg, la Société Suisse des Officiers décide de lancer un appel aux dons à toute la population suisse dans le but de créer une aviation militaire suisse.

Cet appel aux dons est signé le 1er janvier 1913 non seulement par des hauts gradés de l’Armée suisse et par 39 conseillers aux Etats et conseillers nationaux, mais aussi par le chef du Département militaire fédéral, le conseiller fédéral A. Hoffmann. Des meetings aériens, des manifestations, des collectes et des ventes spéciales sont alors organisés, qui permettent de rassembler la coquette somme de 1’734’564 millions de francs. En 1916, grâce à ce fonds, le Département militaire achète 17 avions pour un montant total de 866’000 francs, 14 moteurs de réserve, du matériel et fait en outre construire un hangar à Dübendorf. (Histoire de l'aviation suisse)

Qu'est-ce donc que cette théorie ? Bidouillée de toutes pièces sur des suppositions largement farfelues, illustrée par des exemples d’histoire alternative, jamais vérifiée en pratique :

Kung Fury, financé par 17 713 personnes au profit de 13 879 783 (and counting) personnes, soit 99,9% de passagers clandestins ? N’existe pas. Une radio financée par des dons volontaires d’une partie de ses auditeurs ? Impossible, aucune radio ne saurait se financer autrement que par la violence armée ! Des centaines de chaînes privées à travers le monde, qui ont trouvé des façons de se financer autres que la violence armée, que ce soit la publicité, les dons ou le cryptage ? De la propagande néo-libérale, c’est indéniable. Des milliards de sites Internet financés d’une façon ou d’une autre, mais de manière volontaire ? Une hallucination, sans doute : le seul site de la toile ne saurait être autre que rts.ch, financé par la Redevance, c’est évident.

Tout cela est bien entendu très drôle, mais n’empêche malheureusement pas qu’on puisse, au jour d’aujourd’hui en 2015 après J-C, nous proposer encore avec tout le sérieux du monde le financement par la violence armée d’une prétendue « redevance audiovisuelle ». « Redevance » qui en réalité, consiste déjà en un impôt sur le patrimoine (cf. la jurisprudence limpide de plusieurs ATAF), et qu’il s’agirait simplement de transformer en impôt fédéral sur les personnes physiques et « morales », venant se greffer à la liste pourtant exhaustive de ceux actuellement pratiqués contre la population suisse, et naturellement dès lors parfaitement anti-constitutionnel : tant qu’à faire, puisqu’on tient le peuple pour abruti, autant aller au fond des choses.

Gag bonus : faire payer une « redevance audiovisuelle » à des entreprises, comme si elles avaient des oreilles, des yeux et des séries télé préférées, avec tout le sérieux du monde une nouvelle fois. Ben voyons. (Ou va-t-on vraiment nous faire croire qu’une personne passant 8h sur 24 au boulot va regarder davantage la TV qu’une autre passant 24 h chez elle ? Va-t-on vraiment nous faire croire que le déplacement d’une personne sur son lieu de travail, déjà asujettie à l’impôt sur la possession d’appareils de réception au demeurant, provoque une telle dilatation de l’espace-temps, faisant qu’elle pourra soudain consommer davantage que la quantité d’émissions insipides qu’elle aurait consommé, fusse-t-elle sagement restée chez elle ? Et naturellement, les employés passent leur temps de travail à regarder la télévision, c’est bien connu — mais peut-être est-ce, là aussi, un aveu révélateur de la vision de l’activité de travail des illustres auteurs du texte de loi, qui après tout, ne produisent dans tous les cas strictement rien ?)

Gag bonus bis : prétendre, encore une fois la tête haute et sans vergogne, que cette « réforme » va faire faire des économies « aux ménages », puisque, bien entendu, l’argent des enteprises tombe du ciel — ce n’est pas comme s’il provenait, in fine, des mêmes poches réelles de personnes physiques existantes. Nonon, sûrement pas. (Avec bien sûr, un vague espoir à peine inavoué que quelqu’un d’autre va payer pour mes préférences à moi, sans que moi je ne dusse jamais payer pour les siennes à lui — la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde, comme disait Bastiat en 1848, ou encore, comme disait Montemartini en 1900 : la collectivisation de la satisfaction de certains besoins vise toujours à faire participer aux coûts des agents économiques qui nauraient pas participé de leur plein gré).

Autrement dit et pour conclure, il est donc risible de prétendre qu’un bien demandé ne serait pas fourni par les personnes intéressées à le fournir, et financé par les personnes prêtes à le financer. De deux choses l’une, dès lors : soit que le bien n’est pas réellement demandé, soit que les personnes qui souhaitent le fournir se sont révélées incompétentes à trouver une solution adéquate pour le fournir, contrairement aux centaines de millions d’entrepreneurs de la Terre, du gamin producteur de vidéos suédois au vendeur de rue thaïlandais en passant par le chef de PME suisse, qui se débrouillent tous, tous les jours, pour trouver des façons honnêtes et pacifiques de gagner leur vie en rendant service à leur prochain. En tout les cas, l’incompétence à résoudre un problème simple autrement que par la violence devrait être une source de honte — et certainement pas une prétendue source de droit (de prélèvement forcé) sur autrui.

Lequel de ces deux aveux révélateurs choisira-t-on donc de lire dans le spectacle (gratuit) actuellement offert au public suisse par les gesticulations grotesques des thuriféraires du « service public audiovisuel » ? En tous les cas, tout cela aura bien prouvé une chose : nul besoin d’un appareil de réception de programmes pour nous faire rire — les lois-gags du Conseil fédéral (diffusées par simple Feuille fédérale) suffisent amplement.