Le 4 mars 2018, le Souverain a une belle opportunité : mettre fin à trois impôts fédéraux — en plus de la « redevance », l’IFD et la TVA.
Que nous vaut cette belle opportunité ? Il faut savoir en effet que la Suisse étant une fédération, les tâches qui ne sont pas explicitement déléguées à la Confédération demeurent du ressort des cantons (article 3 de la Constitution, même principe que le Xe amendement américain). Ainsi, les seuls impôts directs autorisés à la Confédération le sont à titre provisoire. L’impôt direct par tête destiné à financer la télévision d’État est, pour sa part, purement et simplement anticonstitutionnel et donc à abolir de toute urgence.
L’IFD fut ainsi introduit lors de la Première Guerre mondiale. Cela fait donc plus d’un siècle qu’il est prolongé de 15 ans en 15 ans. La lecture de la brochure officielle est donc — comme souvent — savoureuse : le gouvernement, qui après tout n’a pas changé depuis 1848, doit ainsi se justifier de son incompétence, de n’avoir toujours pas réussi à se passer de cet impôt provisoire généreusement autorisé par le peuple et les cantons.
Les Sages rappellent ainsi, à juste titre, que :
La limitation de ces impôts dans le temps permit de garantir que le peuple, les cantons et le Parlement allaient pouvoir se prononcer régulièrement sur le régime financier de la Confédération.
Fort bien ! Mais s’il faut se prononcer, c’est bien qu’il faudrait avoir des options, et un débat démocratique pluraliste pour en débattre : où sont-ils ?
Le Conseil national a adopté le projet par 196 voix contre 0 et 0 abstention, le Conseil des États par 44 voix contre 0 et 0 abstention.
Adopté à une majorité soviétique, où est la campagne du pour et du contre ? Où sont les propositions alternatives ? Où sont ne serait-ce que des ébauches de solutions ? Où sont ne serait-ce que des bribes de visions à long terme, d’abandon de ces impôts à un horizon quelconque, aussi lointain soit-il ? De tout cela, pas un mot.
À lire le Conseil fédéral, en somme, il est merveilleux de pouvoir voter sur le sujet tous les 15 ans — mais uniquement dans le but de voter oui, sans réfléchir ne serait-ce qu’une seconde sur son choix — drôle de vision de la démocratie. Dans 15 ans, notre cher gouvernement n’aura toujours pas levé le petit doigt, et, sans la moindre vergogne, nous pondra la même brochure, avec les mêmes non-arguments.
Cette disposition constitutionnelle fut le fruit d’un compromis. Il fallut, d’une part, tenir compte des réserves émises par ceux qui craignaient que ces deux impôts portent atteinte à la souveraineté fiscale des cantons et engendrent une charge fiscale excessive.
Comment a-t-il été tenu compte de ces réserves ?
Les recettes provenant de l’IFD sont également importantes pour les cantons ; 17% de ces recettes leur sont en effet destinés.
Autrement dit : pas du tout. Autre rappel historique :
Le fédéralisme : Le fédéralisme a bien changé, avec la croissance de l’Etat central. En 1848, la Confédération comptait 50 fonctionnaires et un budget de 4 millions. Aujourd’hui, elle compte près de 40’000 employés et un budget de 65 milliards. Même les partis traditionnalistes ne se soucient guère de préserver le fédéralisme, dès lors qu’il est question d’étendre la centralisation de la répression des étrangers, par exemple : l’initiative contre les prétendus « étrangers criminels » s’attaquait en réalité au fédéralisme, soit au pouvoir des juges cantonaux d’expulser ou non les étrangers condamnés (certains cantons comme Vaud le faisaient déjà massivement, d’autres comme Genève non). Tout aussi grave, l’impôt fédéral sur le revenu, introduit en 1915 en tant que « impôt de guerre », est toujours prélevé aujourd’hui, renforçant d’autant le poids démesuré de la Confédération par rapport aux cantons, aux communes et au privé.
— Jan Krepelka, Pourquoi aimer la Suisse ? 1er août 2013.
Pour ce qui est de la TVA, faut-il vraiment en parler ? Impôt qui n’assume même pas son nom, se cachant sous l’euphémisme de taxe, foncièrement inefficace, donnant lieu à d’absurdes chicaneries douanières, qui le regrettera ?
Quant aux préoccupations budgétaires, un peu de sérieux — quiconque s’est plongé un jour dans le budget de la Confédération sait bien qu’il y a des départements entiers qui ne relèvent absolument pas de tâches régaliennes légitimes, encore moins nécessitant d’être au niveau fédéral plutôt que cantonal ou communal :
La Confédération ne dispose que depuis 2000 d’une base constitutionnelle pour intervenir dans le domaine de la culture, bien qu’elle s’y soit impliquée dès le XIXe siècle. L’Office fédéral de la culture, par exemple, dépense près de 200 millions de francs par an, dont près du quart pour ses propres dépenses de personnel et de fonctionnement.[31] Le reste de cet argent est affecté à des postes aussi variés et — sans doute — essentiels comme le « soutien à l’éducation culturelle des adultes » (1 379 600 francs), le « soutien aux gens du voyage » (248 400 francs) ou encore « l’encouragement de l’instruction de jeunes Suisses de l’étranger » (16 259 700 francs).[32]
— Jan Krepelka, Le mythe du « service public », septembre 2007
Nous pourrions faire le même exercice pour l’Office fédéral du sport (400 employés !)... D’autres départements sont non seulement inutiles, mais purement et simplement nuisibles, tels le SECO et l’ensemble de sa production législative.
Une belle occasion, donc, de se poser ce genre de questions, mettre fin aux bidouillages temporaires, et en plus améliorer ainsi la productivité, la compétivité suisse, la croissance, et la liberté de choix des individus. Une belle occasion, donc, superbement ratée par le Conseil fédéral — comme pour l’autre objet soumis au vote, c’est une nouvelle fois aux citoyens qu’incombe la tâche de faire ce travail-là.
En 2018, cela fait tout de même un siècle que la Grande guerre est finie. Il serait plus que grand temps de mettre fin à l’impôt provisoire sur l’effort de guerre. Avec l’autre objet judicieusement soumis au vote le même jour — la fin de l’anticonstitutionnel impôt par tête — c’est une double occasion unique de mettre fin à l’usurpation fédérale des prérogatives du peuple et des cantons.