Institut Laissez-faire : La liberté sans compromis.

Non, le libéralisme n’est pas un hédonisme court-termiste égoïste

En pleine pandémie, certains estiment que l’activité la plus intelligente, la cause la plus noble à défendre, l’acte le plus héroïque, l’attitude la plus responsable, est de réunir un millier de personnes sur une place publique pour brailler, sans masques, contre les mesures prises contre ladite pandémie.

Égoïsme irrationnel

Leur slogan ? « Pour le retour à la liberté ». Tiens, on l’avait perdue ? Et parmi la myriade d’atteintes à la liberté commises quotidiennement au nom de divers prétextes absurdes, s’en prendre à la modeste et justifiée obligation de porter un masque dans les transports publics, vraiment ?

Des manifestations de ce genre ont lieu un peu partout dans le monde, avec des slogans similaires. Et malheureusement, certains libéraux y prennent part1. On aurait pu espérer pourtant que les libéraux, au moins, ne soient pas si bêtes...

Or, ces manifestants ont beau se prendre pour des héros de la liberté, tant leurs revendications que leur comportement irresponsable n’ont en réalité strictement rien à voir avec le libéralisme.

Aller manifester en pleine pandémie n’est pas rationnel, à vrai dire c’est même nécessairement contre-productif. Aller manifester en pleine pandémie n’étant en effet guère intelligent, surtout au mépris des règles de port du masque, distanciation, etc, ces protestataires ne font que confirmer aux yeux du gouvernement qu’on ne saurait s’en remettre à la seule responsabilité individuelle : félicitations. Qui plus est, les manifestations sont des foyers d’infection potentiels, ce qui fait augmenter les cas, ce qui justifie de nouvelles mesures, et ainsi de suite.

Dans leur égoïsme, mettre en danger ceux qui ne partagent pas leur déni de la réalité ne semble guère les préoccuper :

Il est 14h30 passé, l’ambiance est déjà électrique devant la Gare Cornavin, dans le bus TPG qui se rend sur ladite place. Un litige oppose les anti-masques à la conductrice du bus qui – face au refus de certains passagers de porter le masque – refuse de démarrer.

Dans le même genre d’attitude exécrable, irrespectueuse et immature, nous avons cet auteur du site libéral Contrepoints qui, face à l’obligation de devoir mettre un masque et des gants, dans un lieu privé, à la demande d’une employée du propriétaire, nous explique hautainement « je me suis retenu pour ne pas l’insulter ». Quel courageux héros de la liberté ! Que dis-je, quel noble dissident contre la tyrannie !

Inaction fatale

Certes, si les manifestants comprenaient tout cela, ils comprendraient aussi l’ineptie de leurs revendications sur le fond. Hurler à la tyrannie, en Suisse, parce qu’on leur demande de mettre un masque dans les transports publics, relève, au mieux, du caprice d’enfant gâté.

You’re home? Do you have a blanket? Do you have anything to eat? Nobody is hitting you?

– « ‘Nobody is hitting you. Be optimistic’: Holocaust survivors stoic amid the virus » 

Leur modèle ? La Suède socialiste et son nombre de morts relatif 2,5 fois celui de la Suisse (ou 10 fois celui de la Norvège, ou 70 fois celui de la Corée du Sud) :

De nombreux drapeaux flottaient au-dessus de la foule. Le drapeau suisse, bien sûr, et les drapeaux des cantons romands, mais aussi le drapeau tricolore français, l’étendard américain, ou encore le drapeau suédois, pays qui n’a pas confiné sa population et n’a pas imposé le port du masque pour affronter la pandémie.

Début septembre (!), certains décrétaient déjà que « cette grippe coronavirale fait partie maintenant du passé »... en plein pic global d’une pandémie mondiale, et quelques semaines à peine avant que de nombreux pays en reviennent au confinement (local ou national).

Au début de la pandémie, quand les États-Unis pouvaient encore s’en protéger, Ron Paul écrivait :

Over what? A virus that has thus far killed just over 5,000 worldwide and less than 100 in the United States?

– Ron Paul, « The Coronavirus Hoax »

Et tournait en ridicule les propositions de confinement face à une menace si lointaine :

On Face the Nation, Fauci did his best to further damage an already tanking economy by stating, “Right now, personally, myself, I wouldn’t go to a restaurant.” He has pushed for closing the entire country down for 14 days.

Deux semaines de vacances à la maison pour tout le monde plutôt qu’une crise qui dure durant des mois et 200 000 morts, était-ce vraiment une si mauvaise idée ?

Quelques mois plus tard, on pouvait lire, sur Mises.org : « It’s Far Too Late to Think Lockdowns Can Make Covid-19 Go Away ».

Et entre le « trop tôt » et le « trop tard » ? Le confinement, selon eux, n’était pas justifié non plus car il n’était question que de sauver « the lives of a few, most of whom are close to death anyway ». Sans commentaire.

Irresponsabilité naturelle de l’Homo festivus

Comme mentionné auparavant, cette pandémie a révélé à quel point, à de nombreux égards, nous vivons toujours au Moyen-Âge. Les dangers d’un virus, invisible à l’œil nu, pouvant être transmis même par des patients asymptomatiques, ou n’apparaissant parfois qu’à 14 jours après la contamination, sont faciles à nier – tant qu’on n’en est pas victime soi-même : « COVID-19 denier who said ‘God is bigger than this virus’ changes mind after getting COVID-19 ». Nous ne sommes pas si loin de l’époque de Semmelweis :

Despite various publications of results where hand washing reduced mortality to below 1%, Semmelweis’s observations conflicted with the established scientific and medical opinions of the time and his ideas were rejected by the medical community. He could offer no acceptable scientific explanation for his findings, and some doctors were offended at the suggestion that they should wash their hands and mocked him for it. In 1865, the increasingly outspoken Semmelweis supposedly suffered a nervous breakdown and was committed to an asylum by his colleagues. He died 14 days later after being beaten by the guards, from a gangrenous wound on his right hand which might have been caused by the beating. Semmelweis’s practice earned widespread acceptance only years after his death, when Louis Pasteur confirmed the germ theory, and Joseph Lister, acting on the French microbiologist’s research, practised and operated using hygienic methods, with great success.

Ce déni de la réalité est particulièrement flagrant chez les jeunes fêtards, fiers Homo festivus par excellence.

Le 16 septembre, des jeunes, notamment étudiants de l’École hôtelière de Lausanne, se réunissent en boîte de nuit « pour faire la fête une dernière fois », juste avant la fermeture ordonnée pour le lendemain par les autorités cantonales. Logique : si le gouvernement a choisi de fermer le 17 septembre, c’est que le 16 il n’y a encore aucun risque ! Une jeune fêtarde nous explique même que non, même si elle devait apprendre le lendemain avoir été contaminée, elle ne regretterait pas d’être venue, car non, tout de même, elle ne va pas « changer complètement [ses] habitudes à cause du Covid ». Non bien sûr, ce serait trop demander !

Sans trop de surprise, une semaine plus tard, le 23 septembre : « 2 500 étudiants de l’EHL en quarantaine à la suite de fêtes ».

Toujours à la mi-septembre, des Américains partisans de Trump expliquent « why they won’t wear masks » : car l’important est de « have a good time today ». Dans un genre similaire, mentionnons certains motards américains :

Les 460 000 motards qui se sont rassemblés en août dans le Dakota du Sud, dans l’indifférence face à la pandémie, ont conduit à un total de 260 000 nouveaux cas de Covid-19, estiment des chercheurs dans une étude publiée mardi. Ce chiffre, non confirmé de façon indépendante, ferait de ce rassemblement de dix jours, le Sturgis Motorcycle Rally, le plus grand événement de propagation du coronavirus documenté à ce jour aux États-Unis.

– « Un rassemblement de motards lié à plus de 200 000 cas de Covid-19 aux États-Unis ? »

Étonnant, n’est-ce pas ?

Certaines associations de discothèques, naturellement, s’étaient jointes à la manifestation anti-masques sus-mentionnée : « Des discos appellent à manifester avec les antimasques », tandis que certains libéraux s’indignent lorsque leur fermeture est demandée :

For example, yesterday Colorado governor Jared Polis announced that the governor’s office was once again shutting down bars and nightclubs, after only a few weeks of being allowed to remain open. This comes after a tiny uptick in new cases in the state.

Or, est-ce vraiment si déraisonnable ?

Un homme, contaminé par le Covid-19, a profité des nuits zurichoises pour faire la fête. Résultat : une quarantaine pour les membres du club.

– « 300 clubbeurs zurichois mis en quarantaine »

Les gestes barrières étaient une vue de l’esprit samedi dernier dans un bar du centre-ville de Locarno [...] Les séquences montrent énormément de personnes collées les unes aux autres.

– « Un bar du centre-ville de Locarno plein à craquer met le maire hors de lui »

De grandes fêtes sont organisées chaque week-end à bord sur le lac de Constance. Et le respect des règles sanitaires est bien difficile à faire respecter.

– « Une ‘boat party’ réunit plus de 500 clubbeurs sans masque »

En France :

Un cluster à partir d’une fête étudiante. Une soirée d’anniversaire, organisée le 1er octobre dernier, a dégénéré dans le centre-ville de Saint-Etienne. Jusqu’à 150 personnes ont fait la fête dans un appartement de 60 mètres carrés, sans respect des gestes barrières ni de la distanciation sociale. Quelques jours plus tard, cinq cas de coronavirus ont été signalés dans une école de commerce de la ville.

– « Saint-Étienne : une fête étudiante se transforme en cluster, une enquête ouverte » (vidéo)

En Allemagne :

Souffrant de maux de gorge, la jeune femme a passé un test à son retour de vacances en Grèce, mais n’a pas jugé bon d’attendre le résultat avant d’aller faire la fête avec ses collègues [...] Pour l’heure, 25 individus ayant côtoyé la jeune femme pendant cette soirée ont été infectés. [...] Quant aux autorités bavaroises, elles sont consternées. Le gouverneur, Markus Soeder, a estimé que ce cas était « l’exemple-type de la stupidité ».

– « Elle passe le test et va faire la fête : 710 individus exposés »

De fait !

En Israël, pays subissant une deuxième vague déjà deux fois plus meurtrière que la première (heureusement que les deuxièmes vagues n’existent pas, que l’épidémie est terminée, que le virus disparaît tout seul au bout de deux mois, etc.), l’ex-ministre de la santé pleurniche pour ses vacances :

« ‘You’re ruining the holidays for us’, Channel 12 quoted Litzman as having barked at Netanyahu. »

Ou encore :

Kirby reportedly began banning patrons with masks as of Sept. 11, claiming that the CDC-recommended safety precaution is “hindering our lifestyle as we know it.”

– « Florida bar owner bans masks, will eject patrons who wear face coverings: ‘I don’t want them here’ »

He’d gone out to a party where no one wore masks, his niece Danielle Lopez said, only to learn afterward that someone knowingly attended with the novel coronavirus, apparently reasoning — erroneously — that without symptoms, it couldn’t do anyone harm.

– « Man who went to party warned people not to be an ‘idiot like me’ a day before dying of Covid-19 »

Only about 65 close family members and friends were on the guest list for a bride and groom’s rustic wedding celebration in a small Maine town in early August.

But the nuptials began an outbreak now traced to more than 175 reported novel coronavirus infections and also to the deaths of seven people, the Maine Center for Disease Control and Prevention said Tuesday.

The cluster of coronavirus infections that originated from the Big Moose Inn outside Millinocket on Aug. 7 continues to grow in Maine, state health officials said, after guests flouted social distancing and mask guidelines. Now people who have no association with the party have died, including six residents of the Maplecrest Rehabilitation and Living Center in Madison, Maine CDC Director Nirav Shah said in a news briefing Tuesday.

– « Maine wedding ‘superspreader’ event is now linked to seven deaths. None of those people attended. »

En Grande-Bretagne, des milliers de manifestants, sans masque, protestent contre les nouvelles mesures de Boris Johnson :

Espérant éviter un deuxième confinement national, le gouvernement de Boris Johnson a instauré une règle interdisant les rassemblements de plus de six personnes et imposé la fermeture des pubs et restaurants à 22h00.

La fermeture des pubs à 22h ! Pensez-donc, autant dire la fin du monde !

Or, ce qu’il faudrait plutôt reprocher à Boris Johnson, c’est son inaction, voire ses mesures encourageant les comportements à risque2, avec pour résultat l’une des pires mortalités d’Europe : d’abord la divagation de l’« immunité collective », puis des mesures tardives, puis, jusqu’à il y a encore quelques semaines à peine, un appel à la population à retourner aux restaurants3 et dans les bureaux...

Mais cette position ultra-hédoniste-court-termiste n’est pas seulement l’apanage des jeunes fêtards et de quelques manifestants anti-masques (dont malheureusement certains libéraux égarés). Elle se retrouve profondément ancrée dans la société. Certes, l’État a sa (grosse) part de responsabilité. Mais ce n’est pas la seule explication, pas la cause – en tant que simple organisation humaine, c’en est plutôt une conséquence. Si nous sommes encore vulnérables face au premier virus venu plutôt que d’être depuis longtemps immortels et éparpillés dans les étoiles, c’est aussi le résultat des choix et des priorités de la population.

Les libéraux, lorsqu’ils constatent à juste titre les errements de l’électeur médian, ne devraient pas oublier une évidence : le consommateur médian est la même personne, et elle ne fait pas nécessairement des choix plus intelligents dans la sphère économique que politique. L’État n’empêche personne de mettre moins d’argent dans les cigarettes, les tatouages et le café, il n’oblige pas leurs fans à rendre les joueurs de football et les acteurs millionaires, ni des régions entières à fonder toute leur économie sur le tourisme de loisirs et la consommation d’alcool dans les bars – tout cela est le choix volontaire des consommateurs. Choix légitimes, certes, mais choix qui ont des conséquences. Une société qui valorise davantage la consommation de loisirs que la recherche médicale aboutit à... la situation actuelle. Et une société ne sera pas soudainement appauvrie si les casinos ferment pendant quelques semaines et l’argent change un peu moins souvent de mains.

Un bon résumé de la position ultra-hédoniste nous est donnée par cet acteur (évidemment – profession logiquement au sommet de la hiérarchie sociale d’une société hédoniste-court-termiste) :

Arrêtez tout. TOUT. Les masques. Les confinements. Excepté face à vos parents très fragiles (quand ils le souhaitent, ce qui n’était pas le cas de mon père, meurtri à mort d’être privé de notre amour). Vivez à fond, tombez malades, allez aux restaurants, engueulez les flicaillons, contredisez vos patrons et les lâches directives gouvernementales. Nous devons désormais vivre, quitte à mourir (nos aînés ont besoin de tendresse davantage que de nos précautions) (…) Vivons à fond, embrassons-nous, crevons, ayons de la fièvre, toussons, récupérons, la vie est une parenthèse trop courte pour se goûter à reculons

Manifeste de l’Homo festivus dans toute sa splendeur ! Bourrons-nous la gueule ce soir, le reste c’est des problèmes pour demain matin, c’est loin dans le futur, ça ne nous concerne pas ! Keynes serait aux anges.

Et les hôpitaux débordés, les infirmières qui tombent malades voire décèdent du Covid et doivent, elles, passer toute la journée avec un masque ? Pas notre problème non plus, n’est-ce pas ? Tant que la morgue n’est pas visible par la fenêtre du bar, tout va bien, le Covid ça n’existe pas.

Ce que le libéralisme n’est pas

Quelques rappels, donc.

Non, le laissez-faire n’est pas un laisser-faire.

Non, le libéralisme n'est pas un covidiotisme.

Non, le libéralisme n’est pas un égoïsme au détriment d’autrui, mais au contraire un respect accru des droits d’autrui.

Non, le libéralisme n’est pas un hédonisme court-termiste, mais au contraire implique de tenir compte du passé et penser au futur. La position court-termiste est plutôt l’apanage du socialisme.

Non, manifester n’est pas un droit fondamental – sur une rue privée cela dépend de l’accord du propriétaire, et sur une rue publique il y a d’autres usages concurrents (par exemple le déplacement).

Non, prendre les transports publics sans masque n’est pas un droit fondamental.

Non, le libéralisme n’est pas un keynésianisme ni un consumérisme (faut-il le rappeler).

Non, le libéralisme ne défend pas « l’économie » ni « l’emploi ».

Non, le capitalisme ne récompense pas le « mérite » et non, nos économies mixtes ne sont pas en concurrence pure et parfaite, loin de là.

Ce qu’on voit et ce qu’on refuse de voir

Reality is that which, when you stop believing in it, doesn’t go away.

– Philip K. Dick

“I just didn’t believe in coronavirus,” she said. “I thought it was all politics. I was sure it was nonsense, and even made faces when people mentioned it.”

« ‘But there is no coronavirus,’ shocked cynic told doctors, waking up in hospital »

La pandémie nous a déjà fourni le triste spectacle d’un cas d’école du sophisme de la vitre cassée, ce qu’on voit (les emplois inefficaces perdus dans un secteur A) et ce qu’on ne voit pas (les emplois plus utiles créés dans un secteur B avec l’argent ainsi économisé), au travers notamment des appels et subventions de certains dirigeants politiques à la consommation de repas aux restaurants dans des endroits A plutôt que B.

Mais ici, cela va bien plus loin. Il s’agit non seulement de favoriser un producteur A au détriment d’un producteur B, mais de prendre des décisions ultra-court-termistes, sacrifiant le futur au profit du présent, prenant le risque, simplement pour transférer la consommation de B vers A (ou empêcher le transfert de A vers B), de rendre C malade, de causer le décès de D, et d’engendrer des frais médicaux et des séquelles les X prochaines années pour E.

C’est ce qu’on voit – la bonne chère faite au restaurant, les bénéfices du restaurateur, et ce qu’on refuse de voir – non seulement les pertes d’un autre restaurateur (ou vendeur de produits alimentaires), mais aussi l’absence de progrès organisationnel et de réajustement, les coûts humains et économiques des contaminations que cela engendre, etc.

Ce qu’on ne voit pas c’est une chose, mais ce qu’on refuse de voir est encore pire – un déni fondé non seulement sur l’analphabétisme économique ou le lobbying politique, mais sur une forme extrême d’hédonisme court-termiste.

Ce qu’on refuse de voir, c’est qu’il ne suffit pas d’enlever son masque et faire comme si de rien n’était pour que le virus disparaisse.

Ce qu’on refuse de voir, c’est que certains emplois et formes d’organisation étaient déjà condamnés, et que les confinements n’ont fait qu’accélerer le processus de restructuration de l’économie (le télétravail ne date pas d’hier, le confinement a montré qu’une bonne moitié des employés peut le pratiquer, souvent en étant davantage productifs qu’auparavant, et les employeurs peuvent ainsi s’économiser des loyers de bureau en ville – une évolution logique donc, et si elle ne s’est pas faite auparavant cela ne veut pas dire que la situation antérieure était optimale, mais simplement que le marché réglementé actuel n’est pas suffisamment concurrentiel).

Ce qu’on refuse de voir, c’est que tout n’allait pas si bien que cela avant.

Ce qu’on refuse de voir, c’est les inefficiences systémiques du travail de bureau qui font qu’un confinement n’impacte pas linéairement la richesse produite (dont le PIB n’est d’ailleurs qu’une mesure très imparfaite) :

The study by the Swiss Trade Association (SGV), reported in the NZZ am Sonntag newspaper, found that while hours worked dropped by 10% in the first quarter of 2020, GDP sank by just 2.6%.

– « Lockdown led to big increase in worker productivity »

Ce qu’on refuse de voir, c’est que nos sociétés (et surtout nos États, irresponsables et court-termistes par nature) étaient largement non-préparées à un évènement pourtant prévisible. L’État est coupable de la survenue de la pandémie, non des mesures pour la contenir.

Ce qu’on refuse de voir, c’est que le risque de pandémie a toujours existé, et qu’en fait cela aurait pu être bien pire avec un virus plus dangereux.

Ce qu’on refuse de voir, c’est que ce risque existera toujours, et si l’on est déjà incapable d’affronter le Covid par des mesures simples, qu’en serait-il en cas de virus pires ? Les covid-deniers, d’ailleurs, ne semblent jamais considérer à partir de quel taux de mortalité ils se rangeraient à la raison – sans doute jamais.

Ce qu’on refuse de voir, c’est que la mortalité statique n’est pas la seule mesure des coûts humains et financiers – un débordement des hôpitaux affecterait le taux de mortalité.

Ce qu’on refuse de voir c’est que les politiques, loin d’en faire trop pour règler la situation au plus vite, n’en font pas assez : il ne s’agit pas pour eux de résoudre l’épidémie, mais de prendre les mesures acceptables par la population – ni trop tôt, sinon en cas de succès le politicien sera accusé de les avoir prises pour rien, ni trop tard – les morgues débordées ça fait tout de même un peu mauvaise impression. Seule compte la survie politique – la prochaine réélection – et non la survie de la population, encore moins son immortalité.

Mais les choses se passent ainsi : on prend des mesures parce que certains tirent la sonnette d’alarme et elles permettent d’éviter que les choses tournent aussi mal qu’on l’a craint – et on reproche alors à ceux qui ont tiré la sonnette d’avoir exagéré. Mais s’ils ne l’avaient pas fait, si aucune mesure n’avait été prise et si c’était devenu plus grave, ce sont probablement les mêmes qui les accuseraient de n’avoir rien fait.

– « Jonas Lüscher: ‘Ces gens… quelle catastrophe’ »

Ce qu’on refuse de voir, c’est qu’avec un temps d’incubation pouvant atteindre deux semaines, toutes les mesures prises par les gouvernements le sont systématiquement au moins deux semaines trop tard.

Ce qu’on refuse de voir, c’est qu’en pouvant être contagieux même en étant asymptomatique, on a une responsabilité tout du moins morale (sinon juridique) en risquant de contribuer à la chaîne de transmission si l’on ne prend pas les précautions nécessaires pour l’éviter.

Ce qu’on refuse de voir, c’est que notre inaction face à la grippe et d’autres maladies était déjà coupable – loin de justifier, comme le prétendent certains, une même inaction face au covid – « on laisse bien crever des milliers de gens de la grippe, donc laissons en crever quelques milliers de plus du Covid » – au contraire, c’est l’occasion d’une prise de conscience globale – et les mesures qui protègent du Covid nous protégerons dans la foulée de la grippe et d’autres virus, et nous feront prendre de bonnes habitudes en cas de survenue de virus encore plus dangereux.

Ce qu’on refuse de voir, c’est que cette inaction avait déjà, aussi, des coûts économiques en plus des coûts humains (absence au travail, médicaments, etc).

Ce qu’on refuse de voir, c’est les séquelles à long terme du Covid, leurs conséquences humaines et financières, encore inconnues en partie :

« Covid-19 : des séquelles qui ne les quittent plus »

Près de six mois après avoir été contaminé par le coronavirus (Covid-19), plus d’un patient sur deux en Belgique ou aux Pays-Bas se plaint de six soucis de santé ou plus, selon les résultats d’une enquête conjointe menée par l’Université de Hasselt, le centre de connaissance néerlandais Ciro, l’Université de Maastricht et le Longfonds néerlandais. Seuls 5% des patients affirment ne plus souffrir du moindre symptôme.

– « Six mois après leur contamination au Covid, seuls 5% des patients n’ont plus de symptômes »

Ce qu’on refuse de voir, c’est que ce n’est pas le confinement4 la source des problèmes, mais bien la pandémie en elle-même, qu’il n’est pas si simple d’éradiquer :

Des chercheurs américains ont comparé les mesures prises dans différentes villes américaines lors de l’épidémie de grippe espagnole de 1918. Celles qui ont pris les mesures les plus précoces et les plus longues sont aussi celles dont l’économie s’en est le mieux tirée

– « C’est la pandémie qui crée la récession, pas le confinement »

Ce qu’on refuse de voir, c’est que prendre quelques semaines de vacances n’implique pas un effondrement de l’économie. Il n’y a pas de destruction de capital, pas de malinvestissement. Et si cela crée des problèmes temporaires, c’est lié à la destruction et au court-termisme étatique depuis des décennies, à la manipulation absurde des taux d’intérêt, etc. Dans une société moins étatisée, une pause temporaire d’une partie de l’économie, si elle s’avérait nécessaire, serait encore moins un problème – les libéraux feraient mieux d’insister là-dessus plutôt que de s’en prendre à des mesures devenues inévitables vu la situation.

Ce qu’on refuse de voir, c’est que perdre un emploi est un problème de court terme, règlable, mais que la mort est définitive – et, contrairement à ce que prétend le défaitisme keynésien, évitable.

Ce qu’on refuse de voir, c’est la situation dans d’autres pays qui au demeurant subissent le même virus que nous et sont des personnes comme nous. La mondialisation ne date pas d’hier, il serait temps de prendre conscience que les frontières arbitraires ne sont pas une barrière aux virus et que l’État sous lequel on vit n’est pas la seule réalité pertinente. Les masques par exemple étaient couramment utilisés en Asie depuis des décennies, d’autres pays ont eu leurs première et deuxième vagues avant nous, etc. Mais là aussi, le court-termiste n’est capable de voir que la situation au jour d’aujourd’hui, dans un rayon de 100 mètres de lui.

Ce qu’on refuse de voir, c’est que déconfiner une semaine trop tôt signifie un maigre gain à court terme – mais un gros risque de reconfinement encore plus long à moyen terme5. L’actuelle montée des cas partout en Europe était parfaitement prévisible, et parfaitement évitable, et les anti-masques et autres covid-deniers, ont leur part de responsabilité dans les deuxièmes vagues et les reconfinements – que cela soit le contraire exact de ce qu’ils espéraient obtenir ne les excuse en rien.

Les covid-deniers, de par cette politique coupable de l’autruche, ce déni immature de la réalité, tombent en plein dans le plus vil des keynésianismes – le contraire absolu du transhumanisme libéral.