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Roe v. Wade, pour ou contre : le comble du politique

The political process was moving in the early 1970s, not swiftly enough for advocates of quick, complete change, but majoritarian institutions were listening and acting. Heavy-handed judicial intervention was difficult to justify and appears to have provoked, not resolved, conflict.

– Ruth Bader Ginsburg, « Some Thoughts on Autonomy and Equality in Relation to Roe v. Wade », North Carolina Law Review, 1985

Un libéral qui se soucie vraiment des « bébés non-nés » n’est pas un « libéral de droite », luttant pour des règles spéciales favorisant certains « bébés non-nés », mais un libéral qui dépense son temps et son argent à améliorer le sort de ces bébés non-nés, en soutenant leurs mères adolescentes ou démunies, en adoptant l’un de ces bébés, en éduquant les parents potentiels sur les moyens de contraception, etc.

– François-René Rideau, « Libéral(isme) “de gauche” ou “de droite” ? Quel(les) con(tradictions) ! »

You know, someday, we’re gonna get enough people on the Supreme Court to change that law.

Un personnage du sitcom Seinfeld, à propos de Roe v. Wade, il y a plus d’un quart de siècle

L’avortement est l’une de ces questions difficiles où il n’est pas tant question de droits, mais plutôt de la définition-même de qui est un sujet de Droit. Si le statut de personne humaine commence à la naissance, alors l’avortement doit être permis jusqu’au dernier moment. S’il commence à la conception, alors une interdiction de l’avortement ne fait que répéter celle du meurtre1.

La philosophie ou la biologie ne semblent donc pas avoir réglé cette question jusqu’à présent de manière satisfaisante. La religion a ses réponses toutes faites, mais qui ne convainquent que les convaincus2.

La résoudre par le pouvoir judiciaire – hautement politisé – ne semblait déjà pas avoir été une bonne idée à Ruth Bader Ginsburg 12 ans après Roe v. Wade, mais 47 ans plus tard cela devient flagrant : pourquoi sinon le sujet serait-il encore si âprement débattu aux États-Unis ?

Si la préservation d’un droit doit reposer sur une majorité fragile d’un groupe de neuf personnes, dépendante des hasards du calendrier électoral ou du décès imprévu d’une seule de ces personnes, élues à vie selon un système dépendant lui-même de majorités éphémères selon des règles décidées par quelques personnes il y a des siècles, peut-être serait-il temps de s’interroger sur le système lui-même3.

Depuis des décennies, les groupes de pression des deux côtés tentent d’influencer la Cour, à coups de millions gaspillés :

The battle may near $40 million in spending and will help define the end of the presidential race, even if Democrats are unlikely to be able to stop the Supreme Court confirmation.

– Political Groups Begin Dueling Over Barrett in a Costly Clash

Des avions entiers remplis de femmes pro-avortement se rendent régulièrement à Washington D.C. afin de protester4 contre tout risque d’une majorité politique qui pourrait potentiellement abroger Roe v. Wade, ce qui ferait que, dans le cas où elles tomberaient alors enceintes, sans l’avoir voulu, dans un État où l’avortement serait interdit, et décidaient d’avorter (beaucoup de si, tout de même), elles devraient alors... prendre l’avion pour aller avorter dans un autre État.

Car faut-il le rappeler, Roe v. Wade n’a fait qu’interdire aux États de la fédération d’interdire l’avortement. Sans Roe v. Wade, la légalité ou non de l’avortement reviendrait donc aux décisions politiques de chacun des cinquante États, lesquels au demeurant sont tous des démocraties, où les femmes ont depuis longtemps le droit de vote. Quitte à passer par la politique, pourquoi ne pas plutôt tenter de convaincre de ses opinions ses concitoyens (ou même seulement ses concitoyennes – les femmes sont majoritaires) du même État, plutôt que de tenter de les contourner par une décision imposée par le gouvernement fédéral ?

Naturellement, chacun peut préférer que l’État dans lequel il vit s’adapte à ses souhaits en matière législative, et non l’inverse (devoir se déplacer, ou déménager, en « votant avec ses pieds »). Mais tout de même : en 47 ans, si l’on n’y est pas parvenu par la législation locale, n’y a-t-il vraiment rien eu d’autre à faire en termes de progrès technologique5, social ou éducationnel, ou simplement en termes de choix personnels ou conseils parentaux minimisant le risque de devoir recourir à l’avortement ? En 47 ans, on parle tout de même de plusieurs générations – les femmes potentiellement concernées par Roe v. Wade aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’en 1973.

Et les millions dépensés (et le temps humain investi) en activisme politique n’auraient-ils pas pu être mieux utilisés en recherche scientifique de meilleurs moyens de contraception ? En fonds de soutien financier aux femmes désirant avorter afin qu’elles puissent se rendre là où c’est légal (ou même : de soutien financier pour qu’elles puissent garder l’enfant si c’est leur situation financière qui les poussait à vouloir y renoncer) ?

Même question pour l’autre bord : en deux générations à rêver d’une autre majorité à la Cour Suprême, n’y avait-il vraiment rien d’autre à faire, en termes de soutien financier aux femmes désirant avorter afin de les encourager à y renoncer, de recherche sur les moyens de contraception, de publicités anti-avortement, etc ? Car si le but est de décourager les avortements, toute loi, d’ailleurs, n’est jamais efficace à 100% : il y aurait des avortements clandestins, et des femmes et des médecins (hommes ou femmes) envoyés en prison plutôt que des fœtus sauvés (ou, tout simplement, davantage de voyages dans les États où cela resterait permis).

La politique est un jeu à somme négative : tous en sortent perdants. C’est donc la plus mauvaise et la moins durable des solutions à tout problème pouvant être réglé autrement. L’argent dépensé en politique est pure perte : les uns auront passé un demi-siècle pour renverser une jurisprudence, les autres un demi-siècle pour la défendre. Et si les premiers y parviennent, comme cela pourrait peut-être être le cas depuis l’élection de hier, alors les uns et les autres pourront de nouveau perdre le demi-siècle suivant dans les rôles inverses.

Le progrès réel de l’humanité, entre deux, n’aura pas avancé d’un iota.