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Racisme et anti-racisme : deux faces d’une même médaille liberticide

Lorsque le 9 mars 1993, l’Assemblée fédérale suisse ratifie la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, elle le fait avec deux réserves :[1]

a)  Réserve portant sur l’art. 4:

La Suisse se réserve le droit de prendre les mesures législatives nécessaires à la mise en oeuvre de l’art. 4, en tenant dûment compte de la liberté d’opinion et de la liberté d’association, qui sont notamment inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

b)  Réserve portant sur l’art. 2, al. 1, let. a:

La Suisse se réserve le droit d’appliquer ses dispositions légales relatives à l’admission des étrangères et des étrangers sur le marché du travail suisse.

Première réserve

La première réserve concerne la punition pénale de la simple expression d’opinions racistes. Afin de pouvoir lever éventuellement cette réserve[2], le Conseil fédéral a fait voter l’article 261bis du Code pénal, approuvé en votation populaire le 25 septembre 1994[3],

Discrimination raciale

Celui qui, publiquement, aura incité à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse;

celui qui, publiquement, aura propagé une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les membres d’une race, d’une ethnie ou d’une religion;

celui qui, dans le même dessein, aura organisé ou encouragé des actions de propagande ou y aura pris part;

celui qui aura publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité;

celui qui aura refusé à une personne ou à un groupe de personnes, en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse, une prestation destinée à l’usage public,

sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.[4]

L’article a depuis été interprété progressivement vers une extension de la « sphère publique »[5] au détriment de la sphère privée.

Ainsi, une « cabane » en forêt où un concert privé de néo-nazis se déroulait a été considérée comme un lieu public[6], introduisant une nouvelle jurisprudence qui définit le « privé » non plus en fonction de la propriété privée (par opposition, par exemple, à un défilé néo-nazi en pleine rue, qui relèverait de l’espace public), mais en fonction des liens de famille ou d’amitié entre les participants... Dérive supplémentaire qui fait que l’État s’arroge le pouvoir de juger de l’intensité des relations personnelles qui nous lient à d’autres personnes[7].

Alors que la Constitution fédérale contient au moins cinq articles censés garantir la liberté d’expression, de réunion et d’association[8], un tel article les viole nécessairement. Lors de la votation de 1994, le Conseil fédéral s’est défendu de limiter la liberté d’expression, prétendant qu’elle était maintenue, que seuls ses « abus » seraient punis. Or, on ne saurait abuser d’un droit. Prétendre que l’usage qu’une personne fait d’un droit de l’homme reconnu constitutionnellement serait « abusif », et non un autre, implique déjà de porter un jugement juridique sur le contenu d’un message : la définition même de la censure.

Le caractère « anti-raciste » ou « anti-fasciste » d’une loi de censure semble donc pour le moins douteux. Une telle loi empêche les citoyens de se faire leur propre avis, savoir quel groupuscule ou parti politique défend des idées racistes, et ainsi s’en distancier en toute connaissance de cause.

Ce n’est ainsi pas un hasard si, en 1934, Adolf Hitler avait intenté un procès à l’éditeur de la traduction française de son livre Mein Kampf, dans lequel il définissait clairement la France comme pays ennemi, sans doute pour éviter que son hypocrisie à Munich ne soit trop voyante...

De même, la censure des écrits négationnistes leur donne une notoriété qu’ils ne méritent pas. Au lieu d’être réfutés par des historiens compétents, les voilà au contraire préservés de la critique (il faudrait déjà pouvoir les lire pour les critiquer !), leur interdiction renforçant le paranoïaque statut de victimes du « complot juif mondial » de leurs auteurs.

Seconde réserve

La seconde réserve est révélatrice, elle porte sur un point assez précis, l’article suivant que la Confédération n’est pas prête à accepter :[9]

Chaque Etat partie s’engage à ne se livrer à aucun acte ou pratique de discrimination raciale contre des personnes, groupes de personnes ou institutions et à faire en sorte que toutes les autorités publiques et institutions publiques, nationales et locales, se conforment à cette obligation;

Le Conseil fédéral s’est justifié de cette exception avec l’argument assez poétique que «  bien que la politique suisse en matière d’admission ne poursuive nullement des buts de discrimination raciale, il n’est pas exclu que l’on puisse lui reprocher de produire un tel effet »[10]. Il affirme également que sa réserve n’aurait après tout pas beaucoup de portée et donc d’importance :

L’interdiction de la discrimination raciale ne signifie cependant pas que toutes les différences faites entre Suissesses et Suisses d'une part et étrangères et étrangers d'autre part, par exemple en matière d'autorisations de séjour, seraient illicites. Seules sont condamnées les discriminations qui reposent uniquement sur la différence de race ou d'origine ethnique et qui ne se fondent sur aucune raison objective.[11]

Il n’est pas clair pourquoi la « nationalité » serait une raison objective et non la « race » ou « l’origine ethnique ». Quelle différence en effet entre une discrimination contre une personne parce qu’elle provient de « l’ethnie tamoul » et parce qu’elle aurait la « nationalité sri lankaise » ? Dans les deux cas, on a un même critère arbitraire qui ne relève pas d’un choix de la personne. La convention inclut d’ailleurs clairement « l’origine nationale » comme critère de discrimination raciale :

Dans la présente Convention, l’expression « discrimination raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.[12]

Ce champ d’application aurait été un peu trop large, les alinéas suivants s’empressent donc de le restreindre :

2. La présente Convention ne s’applique pas aux distinctions, exclusions, restrictions ou préférences établies par un Etat partie à la Convention selon qu'il s’agit de ses ressortissants ou de non-ressortissants.

3. Aucune disposition de la présente Convention ne peut être interprétée comme affectant de quelque manière que ce soit les dispositions législatives des Etats-parties à la Convention concernant la nationalité, la citoyenneté ou la naturalisation, à condition que ces dispositions ne soient pas discriminatoires à l’égard d’une nationalité particulière.

Même avec cette définition restreinte de façon incohérente, on peut observer que la Suisse la viole clairement, comme le montrent les trois exemples qui suivent.

Politique des trois cercles[13]

En 1991, la Suisse adopte la fameuse « politique des trois cercles ». Celle-ci se base sur une discrimination explicite des étrangers, les divisant en trois catégories[14] :

1.      Le « cercle intérieur », c’est à dire les pays de l’UE et de l’AELE, avec lesquels la Suisse doit progressivement adopter la libre circulation des personnes ;

2.      Le « cercle médian », soit les pays « culturellement proches », avec lesquels il s’agit de pratiquer une politique modérément restrictive de « recrutement restreint » ;

3.      Le « cercle extérieur », soit le reste du monde, auquel l’immigration doit être en principe fermée, à de rares exceptions près.

Loi sur les armes

Interdiction pour les ressortissants de certains Etats[15]

L’acquisition, la possession, l’offre, le courtage et l’aliénation d’armes, d’éléments essentiels d’armes, de composants d’armes spécialement conçus, d’accessoires d’armes, de munitions ou d’éléments de munitions, ainsi que le port d’armes et le tir avec des armes à feu, sont interdits aux ressortissants des Etats suivants :

a. Serbie; b. Croatie; c. Bosnie et Herzégovine; d. Kosovo; e. Monténégro; f. Macédoine; g. Turquie; h. Sri Lanka; i. Algérie; j. Albanie.

Est-il vraiment acceptable que des nationalités figurent explicitement dans une ordonnance fédérale ?

Là encore, restrictions de droits fondamentaux (le droit d’avoir des armes est reconnu par l’article premier de la LArm), au nom d’une discrimination que personne n’a jamais justifiée, et dont on peut difficilement nier le caractère raciste.

Conditions d’octroi du permis de séjour

Les permis de séjour ne sont pas accordés aux mêmes conditions à tous les étrangers : ils sont accordés après « un séjour en Suisse régulier et ininterrompu » de 5 ans pour certains étrangers, et de 10 ans pour d’autres[16].

Le Message offre une justification de ce genre de pratiques :

En outre, selon l'avis d'une forte majorité du Comité, un traitement différent des ressortissants de certains pays étrangers, fondé sur des engagements internationaux (clause de la nation la plus favorisée), est autorisé puisque le traitement préférentiel de certains Etats et de leurs ressortissants n'est pas contraire au but de la Convention[17]

Autrement dit, certaines discriminations raciales ne sont pas contraires au but de la Convention... qui est précisément l’élimination de toutes les formes de discrimination raciales ! Comble du comble, l’article premier, alinéa 4 de la Convention autorise même déjà la « discrimination positive », là encore en contradiction flagrante avec ses objectifs premiers.

Autre exemple d’incohérence :

la loi fédérale sur l’acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger restreint pour ces personnes le droit d'acquérir des immeubles (acquisition soumise à autorisation, contingentement), sans violer pour autant l'interdiction de la discrimination raciale.[18]

Le message s’abstient de préciser pourquoi cette discrimination ne serait pas une discrimination. D’autres passages du Message sont assez révélateurs :

La politique suisse en matière d'admission à l'égard des personnes exerçant une activité lucrative est donc fondée sur le principe selon lequel les particularités ethniques et nationales des personnes venant de certains pays rendent en général plus difficile leur intégration dans notre société[19].

Pratiquer une discrimination selon « les particularités ethniques et nationales » des personnes... Nous avons là pratiquement la définition même du racisme.

Conclusion et recommandations

L’histoire parallèle de ces deux réserves est donc édifiante.

Alors que la Suisse aurait pu utiliser la première réserve pour s’abstenir de restreindre le droit de propriété par la loi anti-racisme, elle semble au contraire être allée au-delà de ses obligations par une jurisprudence qui considère comme « publique » une réunion privée de vingt personnes dans une cabane. Chose intéressante, même des partisans ou même artisans de la loi d’origine commencent à comprendre ce qu’ils devraient avoir honte de ne pas avoir prévu, que même eux peuvent être victimes de la loi, et que la liberté de la presse s’en trouve gravement menacée[20].

Pour ce qui est de la seconde réserve en revanche, le gouvernement suisse, par une politique de plus en plus restrictive à l’égard des étrangers[21], semble au contraire pratiquer des discriminations dont il n’est même pas sûr qu’elles seraient couvertes par la réserve.

Autrement dit, au niveau de l’État, le racisme est de mise lorsque cela permet de nouvelles violations de droits de propriété... et l’anti-racisme est de mise lorsque cela permet de nouvelles violations de droits de propriété. La sphère publique d’action de l’État grandit ainsi dans les deux cas, au détriment des droits individuels.

Pourquoi ne pas plutôt faire le contraire - tolérer le racisme lorsqu’il relève de la stricte propriété privée (réunion privée, liberté d'expression, droit de discriminer des propriétaires privés), et s’y opposer fermement lorsqu’il viole les droits de l’homme (discrimination par l’Etat, expulsions d’étrangers, etc.) ?

Les génocides et les apartheids, dont la convention contre le racisme veut nous protéger en priorité, sont des crimes qui ne peuvent être commis que par des États. La violation des droits d’une minorité implique nécessairement la violation des droits individuels de propriété. Plutôt que d’instaurer des commissions anti-racistes et de restreindre ces droits individuels, la législation Suisse devrait tout simplement :

  • garantir les droits de propriété de chacun, quelle que soit sa nationalité, sa « race », « ethnie », religion, sexe ou couleur de peau, y compris la liberté d’expression ;
  • supprimer toute mention de race, religion, sexe ou nationalité de toute législation, garantissant ainsi de façon simple l’impossibilité légale de discrimination étatique.