Institut Laissez-faire : La liberté sans compromis.

Paradoxe démocratique

C'est donc le 22 septembre 2013 que les Suisses pourront voter sur la fin de la conscription.

Rarement un sujet de votation n'aura été aussi clair, puisqu'il s'agit, rappellons-le une nouvelle fois, de remplacer dans la Constitution :

Tout homme de nationalité suisse est astreint au service militaire

par

Nul ne peut être astreint au service militaire.

Ni plus, ni moins. Autrement dit, la question à laquelle vous devez répondre, est tout simplement : est-il légitime, oui ou non, d'utiliser la violence armée pour forcer des personnes de sexe masculin et ayant la nationalité suisse à accomplir une certaine activité ? 

Estimer que vous avez le droit d'utiliser la violence contre d'autres personnes afin de les forcer à accomplir des tâches dans votre intérêt, pour assurer votre sécurité, votre confort ou vos revenus, cela fait de vous un esclavagiste, tout simplement. J'invite donc les esclavagistes à assumer leurs opinions : s'ils estiment qu'ils ont le droit de se servir de la violence armée pour m'envoyer moi ou mes enfants mâles faire l'armée, pourquoi n'auraient-ils pas aussi le droit de venir me pointer leur fusil d'assaut sur la tempe afin de me contraindre de faire leur vaisselle, aller promener leur chien ou leur faire la cuisine ?

Le débat est donc extrêmement simple, et les adversaires de l'initiative, plutôt que de s'interroger sur ce principe de base, préférent s'en remettre à la mauvaise foi et aux sophismes ad hominem. Comme nous l'écrivions :

Il faudra être de bien mauvaise foi pour prétendre que l'initiative s'attaque à l'armée en tant que telle ou au principe de l'armée de milice, alors qu'elle ne modifie en rien l'article 58 qui stipule que «la Suisse a une armée. Celle-ci est organisée essentiellement selon le principe de l’armée de milice.» 

Comme faire une campagne pro-esclavage n'est pas facile, les opposants préfèrent prétendre que l'initative s'attaquerait à la sécurité, ou à l'armée, ou s'en prendre à d'autres opinions des initiants (sur lesquelles on ne vote pas !).

Passons donc sur les arguments ad hominem. Passons aussi sur les slogans Orwelliens du type "pas de liberté sans obligation de servir" (sic). Passons sur les arguments de type utilitaire ou économique, à peu près aussi nauséabonds que de tergiverser sur le prix du coton quand il s'agissait d'abolir l'esclavage des Noirs. 

Argument plus amusant : qu'il n'y aurait pas assez de volontaires pour faire l'armée si elle n'était plus obligatoire. Cet argument serait sans doute très intéressant dans le cadre d'une discussion entre un dictateur et ses conseillers, mais quel peut donc bien être sa signification dans le cadre d'un débat démocratique pour une votation soumise au vote du peuple ? Car les partisans de la méthode esclavagiste ne peuvent pas utiliser leur méthode pour aller pointer leurs armes sur les votants afin de les contraindre à voter comme ils le souhaitent. Autrement dit, dans le débat violence armée vs. persuasion volontaire, les partisans de la méthode violence armée doivent gagner en utilisant la méthode persuasion volontaire de leurs adversaires !

Les partisans de l'esclavage militaire sont donc dans un paradoxe : soit ils perdent la votation, auquel cas la majorité des votants aura estimé que non, il n'est pas légitime d'utiliser la violence pour forcer des personnes à accomplir un service militaire.

Soit ils gagnent la votation, auquel cas la majorité des votants aura estimé que oui, il est légitime d'utiliser la violence pour forcer des personnes à accomplir un service militaire. Mais s'ils gagnent, cela veut dire aussi qu'ils auront réussi à convaincre une majorité des votants, et les convaincre de façon volontaire, sans user de violence. S'ils gagnent, alors ils auront annihilé leur propre argument, qui est de prétendre qu'il serait impossible de convaincre suffisamment de personnes de faire l'armée de leur plein gré. Et rappellons que pour gagner la votation il leur faudra convaincre plus de 50% de la population, alors que pour les effectifs de l'armée, convaincre 2 ou 3 % suffirait amplement (!).

Il n'y a que deux sorties à ce paradoxe: on peut partir du principe d'une population schizophrène où ce seraient les mêmes personnes qui refuseraient de faire l'armée de leur plein gré, mais soutiendraient une loi qui les y contraint. Auquel cas, solution simple : il suffirait d'envoyer faire l'armée tous ceux qui auraient voté contre l'initative, et tout le monde serait content, les personnes saines d'esprit autant que les schizophrènes masochistes.

Ou alors, l'autre possibilité, c'est qu'il s'agit de convaincre la partie de la population qui n'a pas à faire du service de toutes façons, de voter non bien confortablement en faveur d'une obligation qu'ils n'auront pas à subir. Autrement dit, de convaincre une majorité de la population d'utiliser la violence armée contre une minorité, afin d'asservir la minorité pour son propre intérêt, position là encore absolument indéfendable.