A l’approche des élections fédérales d’octobre, entre les diverses intrigues politiques plus ou moins sérieuses, il y a un enjeu de taille qui semble pour l’instant étrangement absent de la campagne : celui du rôle de l’Etat dans l’économie. Seuls les milieux économiques ont à nouveau rappelé la nécessité de libéraliser le marché des services postaux.
Lorsque le débat reviendra sur le devant de la scène, il est à parier qu’il sera accompagné de déclarations en faveur du «service public» pour s’opposer au «démantèlement» de divers monopoles tenaces et défendre le service «universel». Sur ce terrain, la gauche a réussi à imposer son vocabulaire, la droite peinant à l’opposer de front en remettant en cause le principe même du «service public». L’expression de «service public» est ainsi devenue une sorte de mantra incontestable, comme s’il suffisait de proclamer «service public» pour que n’importe quel monopole étatique accompagné de prix excessifs devienne soudain justifié.
Or, à y regarder de plus près, le «service public» sert surtout de paravent pour préserver des intérêts particuliers, protéger des rentes de situation ou maintenir les privilèges d’une clientèle syndicale. Avant tout, la notion est difficile à cerner et à définir. La définition selon laquelle les services publics serviraient «l’intérêt général» est dénuée de sens, puisque celui-ci n’existe tout simplement pas : la diversité des besoins, des préférences et des choix propres à chaque individu implique que chacun a des intérêts différents, et qu’il n’existe donc aucun «intérêt général» qui serait commun à tous sans exception. Cela implique également que des «biens publics» que le marché serait incapable de produire sont impossibles à identifier : une activité donnée ne peut pas être considérée comme répondant à un besoin collectif si l’ensemble des individus de la société ne la considèrent pas comme telle.
Lorsque les individus ont des intérêts communs, le marché s’avère tout à fait capable de les satisfaire : que ce soit pour la production de pain consommé de tous ou pour celle d’une spécialité culinaire que seuls certains apprécient, aussi bien les préférences de la majorité que celles d’une faible minorité peuvent être satisfaites. En choisissant librement quels biens ou services consommer, chacun a d’ailleurs bien plus d’influence sur ce qui le concerne directement grâce aux entreprises privées plutôt qu’en s’en remettant au prétendu «contrôle démocratique» des services contrôlés par l’Etat.
En quoi les monopoles étatiques servent-ils le public? Dans le domaine des services postaux par exemple, la satisfaction des clients a augmenté dans les secteurs déjà libéralisés, la libéralisation ayant contraint La Poste à être davantage à l’écoute des besoins du public et à offrir plus de solutions spécifiques à ses clients.
Quant au «service universel», la Suède offre un exemple tout à fait illustratif des solutions novatrices qui peuvent être envisagées pour offrir un service plus vaste tout en libéralisant le secteur en s’en remettant aux entreprises privées : avant la réorganisation du réseau postal, les offices de poste étaient au nombre de 1300. A présent, ils sont 2800, mais dont 2400 sont gérés par des tiers, comme des supermarchés, des stations-service ou des boulangeries.
Il convient néanmoins de relativiser la justification du «service universel». En effet, il semble supposer que chaque citoyen aurait un droit à sa poste à proximité, ce qui impliquerait que d’autres que lui devraient subir les coûts de son choix de résidence. Mais là encore, des entreprises privées lui fourniront le service qu’il souhaite, pour autant qu’il soit prêt à en payer le juste prix.
Un autre exemple où l’absurdité du «service public» est encore plus criante : les médias d’Etat. S’il existe un domaine où la diversité des préférences se manifeste avec la plus grande force, c’est bien celui des biens et services culturels, dont la télévision et la radio. Tous les individus n’apprécient pas les mêmes émissions ou la même musique.
Bien que les programmes de radio et de télévision aient pu autrefois sembler difficiles à financer par le marché en raison de leur nature incontrôlable une fois émis, un tel argument n’est dans tous les cas plus valable depuis que des possibilités de cryptage existent. En outre, d’autres moyens alternatifs de financement, comme la publicité, se sont développés : l’abondance des chaînes privées dans d’autres pays illustre amplement qu’il ne s’agit ici en aucun cas d’un service que le marché serait incapable de fournir.
Quant à la prétendue «redevance», il conviendrait en réalité de parler plutôt d’un impôt sur le patrimoine, puisqu’elle est payée non pas pour le fait de souhaiter profiter des prestations de la télévision d’Etat, ni même d’en profiter effectivement, mais bien pour le simple fait de posséder un appareil techniquement en mesure de recevoir des programmes de radio ou de télévision.
Finalement, il faut relever que, s’ils sont de bonne foi, les partisans du «service public» ne devraient rien avoir à craindre des libéralisations. Si une vaste majorité des Suisses, par exemple, estimaient que leur radio et télévision publiques valent les 38,50 francs par mois qu’elles leur coûtent actuellement, alors ils les paieraient de plein gré, comme certains le font en s’abonnant à des chaînes privées, et la libéralisation ne changerait strictement rien.
Mais si ce n’est pas le cas, c’est bien que le but du prétendu «service public» peut se résumer à faire payer abusivement à une partie du public le coût des préférences d’une autre partie du public. Tout le contraire des entreprises privées qui sont bien obligées de servir le public si elles ne veulent pas faire faillite, en répondant aux souhaits de leurs clients. Restaurer le libre choix du consommateur en libéralisant les prétendus services publics apparaît dès lors comme un impératif tant économique que moral.