En ces temps de crise, le libéralisme est accusé de tous les maux. En particulier, il lui est reproché de ne pas avoir posé de limites à «la recherche effrénée du profit», à «l’appât du gain», ou encore à la quête «d’argent facile». En somme, le libéralisme serait pleinement responsable du désordre économique régnant, et il faudrait y remédier par davantage de réglementation.
Ces reproches reposent cependant sur une conception erronée des notions dont il est question. Le libéralisme, tout d’abord, n’a jamais été équivalent au nihilisme ou à une promotion du désordre, ni à «laisser chacun faire ce qu’il veut». Le libéralisme n’implique en aucun cas l’absence de règles, mais au contraire un respect accru de principes universels. Le libéralisme est une philosophie du droit qui prône des règles bien précises: le respect du droit de propriété, et par conséquent l’interdiction de toutes les formes d’agression contre une personne ou ses biens, que ce soient les agressions physiques, le vol ou la fraude.
Le profit, ensuite, est souvent présenté comme l’apanage de capitalistes obtenant leurs revenus sans travailler ou en accaparant les richesses de façon illégitime. Mais ce point de vue part d’une mauvaise compréhension du profit. Le profit est avant tout une notion psychologique – si une personne troque un certain bien contre un autre, les deux personnes réalisent un profit, puisqu’elles sont plus satisfaites qu’auparavant, alors que la quantité de biens physiques n’a pas changé. En réalité, le profit doit être compris comme la différence entre le coût d’opportunité, soit tout ce à quoi une personne renonce pour obtenir quelque chose, et la valeur subjective que ce quelque chose lui apporte.
Cette même volonté de diaboliser le profit se retrouve dans la glorification des «services publics», censés ne pas avoir le profit comme objectif et supposés dès lors mieux se concentrer sur d’autres buts, comme la qualité ou la densité du service. Cependant, cette opposition est fallacieuse, car elle repose sur une mauvaise compréhension de la notion de coût. En réalité, les coûts dépendent bien plus de la gestion humaine qu’il n’est généralement perçu, et ne se résument pas à des «prix objectifs» payés pour des matières premières par exemple. Ainsi, une entreprise publique peut très bien avoir des «coûts» importants, simplement parce qu’elle est mal gérée, et donc ne pas générer de profit. Même si des salaires excessifs, des bureaux somptueux, ou des privilèges particuliers peuvent être vus comme autant de «profits» pour ses dirigeants et ses employés.
Tout un chacun recherche donc toujours le profit, quel que soit le système économique dans lequel il se trouve. Dans une économie vraiment libérale, dans une économie de marché libre, la recherche du profit se fait en répondant au mieux aux besoins des autres et donc en accroissant leur niveau de vie: c’est ce qu’exprime la fameuse main invisible d’Adam Smith. Dans un système étatisé, en revanche, cette même recherche du profit passe par la corruption, la quête de privilèges et de faveurs, l’élimination légale de la concurrence, et mène au contraire à l’appauvrissement.
Ce n’est pas la recherche de profit en tant que telle qui cause des problèmes, mais des comportements irresponsables et frauduleux. La différence pertinente n’est donc pas entre les activités à but lucratif et les activités «désintéressées», ni entre «l’argent facile» et l’argent durement gagné, mais entre les activités qui respectent le droit de propriété et celles qui ne le respectent pas.
Quel que soit le système économique ou politique, il y aura toujours des personnes qui agissent de façon nuisible – un bon système ne consiste pas à partir du principe que ces comportements vont disparaître comme par magie, il consiste à mettre en place un cadre institutionnel qui va les décourager. Ainsi, dans un système véritablement libéral, des entreprises qui polluent ou qui mentent sur les dangers de leurs produits seraient condamnables – et pas seulement les entreprises en tant qu’entités juridiques, mais les dirigeants individuels qui ont pris des décisions les amenant à de la fraude ou à une atteinte délibérée à la santé d’autrui. Dans une économie étatisée, au contraire, ces entreprises et leurs dirigeants sont souvent protégés, surtout lorsque des «intérêts nationaux» sont en jeu. Au jeu politique, c’est bien la «loi du plus fort» qui règne: les grandes entreprises sont les plus à même d’obtenir des faveurs et des protections de l’Etat. Tout cela nous amène à la question: vivons-nous actuellement sous un bon système? En réalité, nous vivons dans des économies mixtes, bien souvent plus proches d’un capitalisme d’Etat que d’un véritable capitalisme libéral. Ceux qui se sont enrichis peuvent par conséquent y être parvenus soit par des moyens libéraux, c’est-à-dire en répondant au mieux aux besoins des consommateurs, soit par des moyens non libéraux, c’est-à-dire en profitant de privilèges, de monopoles, de subventions ou encore de protections légales de l’Etat. Cette confusion facilite d’autant plus l’amalgame entre profit et irresponsabilité. L’«appât du gain», le «capitalisme» ou la «recherche effrénée du profit» servent alors de boucs émissaires bien commodes pour détourner l’attention des vrais problèmes – un système économique et politique étatisé et inefficace.
Face aux échecs des économies mixtes, plus de cohérence apparaît inévitablement comme la solution. C’est ce que l’on a pu observer dans le cas du plan de sauvetage d’UBS, par exemple: seule la gauche s’y est opposée, critiquant – dans une certaine mesure à juste titre – un système de «socialisation des pertes et privatisation des profits». Mais la solution est-elle du côté de plus de cohérence socialiste ou de plus de cohérence libérale? Les comparaisons internationales sont claires à ce sujet: ce sont les pays où le poids de l’Etat est le plus faible et les droits de propriété les mieux protégés qui s’en sortent le mieux. La solution se trouve du côté de davantage de liberté – qui va de pair avec responsabilité – et non du côté de davantage de réglementations.