Faudra-t-il bientôt présenter son passeport au disquaire avant d’acheter un CD, afin qu’il vérifie que l’acheteur n’a pas dépassé son quota de musique étrangère? Ce serait dans la logique de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles récemment adoptée par l’Unesco.
Alors qu’il semblerait normal que chacun, quelle que soit sa nationalité et où qu’il réside, puisse choisir librement d’écouter la musique et regarder les films qu’il veut, d’où qu’ils viennent, ce n’est pas l’avis de l’Unesco et des 148 Etats qui ont voté cette convention. Selon eux, il serait au contraire légitime pour le pouvoir politique de subventionner certaines productions culturelles, de limiter l’importation d’autres et de décider à la place des radios et de leurs auditeurs quelle musique, de quelle «nationalité» doit être diffusée. En somme, les choix culturels des individus, donc la diversité culturelle, peuvent et doivent être limités... au nom de la diversité!
D’aucuns pourraient émettre des doutes sur la qualité – et ainsi l’utilité de préservation – d’une musique qui nécessiterait la contrainte étatique pour être écoutée. De même, bien évidemment, lorsque des téléspectateurs sont prêts à financer une chaîne de télévision, ils le font volontairement, comme c’est le cas pour de nombreuses chaînes privées. S’il est nécessaire de les y forcer par une redevance audiovisuelle, c’est bien qu’il est question de financer un service, une production culturelle non souhaitée par tout ou partie de ceux qui doivent la financer. Le prétendu «service public» n’est alors que le moyen pour les uns de faire payer à d’autres le prix de leurs propres préférences en matière culturelle. Là encore, ce n’est pas «la diversité» qui est imposée, mais bien plutôt une production culturelle particulière au détriment d’une autre. Ceux qui répètent à l’envi que la culture n’est pas une marchandise affirment en substance qu’un bien culturel ne doit pas pouvoir être choisi et financé librement, alors que le caractère particulier de la culture, subjectif et indépendant, représente justement une raison de plus pour la laisser au marché libre.
Lorsque l’Etat utilise son pouvoir pour décider à la place des individus ce qu’ils peuvent voir, lire ou entendre, cela s’appelle de la censure. Aussi, il n’est guère étonnant que les nombreuses dictatures représentées à l’Unesco aient plébiscité un texte qui affirme la «souveraineté nationale» plutôt que la liberté individuelle en matière de choix culturels! Désormais, lorsqu’elles interdiront la lecture de livres subversifs, étrangers ou occidentaux, elles pourront se prévaloir de la nécessité de préserver leur culture nationale, telle qu’elles l’auront arbitrairement définie. Le contrôle des importations de biens culturels, biens dont la définition reste d’ailleurs vague, s’en trouve également légitimé, au détriment du libre-échange et de la liberté d’information.
Quotas à la radio, télévision publique et entraves au commerce sont ainsi de mise, mais quid de l’internet? Outre les achats en ligne sur des sites étrangers, qui présentent une menace évidente pour l’intégrité culturelle nationale, à quoi bon avoir un «service public» radiophonique avec son quota de chansons locales ga- rantes de «l’exception culturelle» si les auditeurs peuvent s’y soustraire en écoutant des radios sur Internet, financées de façon volontaire plutôt que par la contrainte et offrant une (vraie) diversité bien plus grande? Ne faudrait-il pas aussi des quotas sur le web pour éviter une telle évasion culturelle?
Les opposants de la liberté d’information n’ont malheureusement pas oublié Internet. A nouveau sous prétexte de contrer les Etats- Unis, l’UE réclame de le placer sous contrôle de l’ONU. Il suffit de comparer les conditions d’obtention (libres) des noms de domaine en .com et .org avec celles (réglementées) des noms de domaine en .fr et .eu pour se douter dans quelle direction un tel changement irait... La «monoculture» imposée manu militari aux Afghans pendant les années talibans montre bien jusqu’où peut mener la «souveraineté culturelle». La pseudo-diversité nationaliste que l’Unesco souhaite imposer est une menace pour la vraie diversité, celle qui résulte des libres choix des individus, nécessairement diversifiés, contrairement à des décisions bureaucratiques prises au nom de pays entiers. La culture est bien trop importante pour être laissée au pouvoir politique.