La loi suisse sur les armes actuellement en vigueur prévoit que «le droit d’acquérir, de posséder et de porter des armes est garanti dans le cadre de la présente loi.» La possession privée d’armes est donc reconnue comme un droit, même si la loi prévoit des limitations. L’initiative «Pour la protection face à la violence des armes», soumise au peuple le 13 février 2010, vise un renversement complet de cette perspective. Elle prévoit en effet que «quiconque entend acquérir, posséder, porter, utiliser ou remettre une arme à feu ou des munitions doit justifier d’un besoin et disposer des capacités nécessaires».
Ainsi, alors que dans la loi actuelle une personne peut acquérir une arme à moins qu’une raison ne s’y oppose, notamment si elle est «enregistrée au casier judiciaire pour un acte dénotant un caractère violent ou dangereux» (art. 8 LArm), dans la logique de l’initiative, une personne n’a a priori aucun droit d’avoir une arme. Ce ne serait plus à l’Etat de prouver qu’elle est trop dangereuse pour avoir une arme, ce serait à elle de prouver qu’elle mérite ce privilège. Car c’est bien d’un privilège qu’il s’agirait, et non plus d’un droit, l’acquisition d’armes étant subordonnée à la justification d’un «besoin», autrement dit à une autorisation nécessairement arbitraire.
Cette notion de «besoin» est fondamentalement problématique: comment en effet prouver un besoin de posséder une arme? Les partisans de l’initiative affirment que les tireurs sportifs et les collectionneurs ne seraient pas concernés, que la loi reconnaîtrait leurs hobbies comme des besoins. Mais alors, qui donc serait concerné par cette initiative? Car la notion de collection ou celle de tir sportif sont très vastes. Tirer sur une cible est en soi un sport, quel que soit le degré d’assiduité ou d’aptitude de celui ou celle qui le pratique. Il faut donc prévoir que, tôt ou tard, la notion de besoin sera interprétée de façon restrictive: peut-être faudra-t-il être un tireur accompli participant à des compétitions pour être considéré comme «tireur sportif». Peut-être faudra-t-il avoir une collection digne d’un musée pour être considéré comme «collectionneur». Mais quid de la personne qui souhaite commencer une collection, quid de celle qui désire commencer le tir sportif?
Certains des initiants admettent que leur but réel est encore davantage de restrictions, ce qui serait cohérent avec leurs arguments. Car si (1) les armes sont des objets intrinsèquement dangereux, (2) les interdire de façon efficace est possible et (3) utiliser des armes pour se défendre en cas d’agression n’est jamais légitime, alors l’argument d’une «collection» ne fait certainement pas le poids face à celui de la sécurité publique. Or :
(1) Une arme est un objet inanimé, qui peut être dangereux lorsqu’il est utilisé à mauvais escient ou sans égard pour les règles de sécurité – tout comme une voiture ou un couteau de cuisine. Ainsi, les armes à feu, dont le nombre en Suisse est estimé à plusieurs millions, ont été utilisées en 2008 pour commettre seulement 11% des homicides, 7% des brigandages, 0,4% des lésions corporelles et 0,0045% des vols (Statistique policière de la criminalité). Même pour le suicide, argument tant utilisé par les initiants, les armes ne concernent qu’un quart des cas.
(2) Lorsque les armes sont interdites, le marché noir devient florissant. En Grande-Bretagne, où les armes à feu sont interdites à de très rares exceptions près depuis 1997, le nombre de personnes blessées ou tuées chaque année par arme à feu n’a cessé d’augmenter depuis. Après six ans d’interdiction seulement, en 2003, les crimes impliquant une arme à feu avaient ainsi doublé par rapport à 1997. Même dans les rares cas de crimes graves commis avec arme à feu en Suisse, il s’agit souvent d’armes qui sont déjà détenues illégalement, par exemple par des bandes armées venant en Suisse commettre des braquages depuis la France, pays où la législation sur les armes est déjà bien plus restrictive !
(3) La légitime défense étant reconnue par le droit suisse, il n’est pas impensable qu’une personne puisse utiliser une arme pour préserver sa vie ou celle de ses proches lorsqu’elle est victime d’une agression à son domicile. En ce qui concerne le port d’arme dans les lieux «accessibles au public», un permis de port d’arme est actuellement nécessaire, délivré lorsqu’une personne «établit de façon plausible qu’elle a besoin d’une arme pour se protéger ou pour protéger des tiers ou des choses contre un danger tangible» (art. 27).
Et justement, la façon extrêmement restrictive et arbitraire dont cette «clause du besoin» est interprétée (aucun permis accordé à des particuliers dans certains cantons) devrait servir d’avertissement sur les conséquences possibles d’une clause similaire pour le permis d’acquisition.
La loi actuelle, loin d’être trop laxiste, est déjà suffisamment restrictive, prévoyant un contrôle de chaque transaction et un fichage des propriétaires d’armes dans des registres cantonaux. La rendre encore moins libérale dans le but de renforcer la sécurité serait illusoire voire contre-productif.