L’acceptation de l’initative Minder à une majorité comfortable constitue un évènement sociologique majeur : cela fait près d’un siècle qu’une initative populaire n’avait été acceptée contre l’avis du Conseil fédéral à une aussi forte majorité.
Ceci n’est pas un hasard. Sur les quelque 300 initatives soumises au Souverain depuis 1848, seules une vingtaine ont pu passer, généralement les plus démagogiques. Celles faisant appel aux émotions les plus irrationnelles, celles introduisant les incohérences les plus absurdes dans le droit constitutionnel. C’est donc dans cette peu glorieuse tradition que vient s’inscrire avec succès l’initative Minder. En effet, elle a pu s’appuyer sur plusieurs prémisses irrationnelles, rarement débattues en tant que telles, rarement contestées, rarement expliquées.
Premièrement, la légitimité de la violence étatique pour résoudre de prétendues défaillances du marché, symptôme classique du constructivisme social-démocrate. Deuxièmement, symptôme classique de la théorie marxiste, le rejet des différences de richesse. Troisièmement, symptôme classique du communisme pur et dur, le rejet de la richesse même.
La légitimité de la violence étatique pour résoudre de prétendues défaillances du marché
La violence n’est pas quelque chose d’anodin : elle doit être strictement restreinte aux cas où elle est nécessaire. Ainsi, il semble légitime d’utiliser la force contre une personne ayant commis une agression. En revanche, envoyer quelqu’un pour trois an en prison (désormais partie intégrante de notre Constitution depuis l’acceptation de l’initative Minder, Art. 95, al. 3 let. d) parce qu’il a créé une société anonyme avec des statuts ne respectant pas le Plan de monsieur Minder, est-ce vraiment un moyen approprié pour orienter la société suisse vers un modèle donné ? C’est non seulement démesuré, c’est injustifié, illégitime et absurde. Il semble difficile de concevoir une conception de la Justice d’après laquelle créer une société anonyme avec des statuts différents de ceux qu’approuve monsieur Minder pourrait constituer un délit dont l’auteur représente une telle menace pour la société qu’il fallût l’emprisonner pour trois ans.
Rappellons donc qu’il existe d’autres moyens que la violence étatique pour promouvoir ses idées. Ainsi, rien ne devrait empêcher monsieur Minder, ou les partisans de son initative, de créer une société anonyme avec les statuts qui leur conviennent, et de n’acquérir des actions d’aucune autre société. Ou même, de faire campagne pour inciter d’autres sociétés anonymes à se créer selon leur modèle.
Plus généralement : toute richesse est créée par quelqu’un et appartient à quelqu’un. De même pour une entreprise. Ainsi, le créateur d’une entreprise est libre, à moins qu’une violence étatique telle Minder ne l’en empêche, de définir librement sa politique de rémunération. De même, les lois ne sont pas là non plus pour prévoir le détail du règlement d’une entreprise, pour décider si les salaires doivent être déterminés par un conseil d’administration ou une assemblée générale. Ou écrits sur des bouts de papier puis piochés dans un chapeau, par exemple.
Dans une société capitaliste qui marche, cependant, la richesse est une mesure du service rendu à autrui contre rémunération. Donc, un entrepreneur qui mène une politique commerciale absurde, par exemple en prenant des décisions irrationnelles en matière de politique salariale, se prive lui-même de revenu.
Ainsi, si vous trouvez une politique aberrante, comme par exemple payer des salaires inférieurs aux femmes, ou si vous estimez que les 78 millions payés à Vasella ne sont pas justifiés, alors il y a trois possibilités :
- Vous avez tout simplement tort, et les dirigeants de l’entreprise ont fait le bon choix même si vous ne le comprenez pas (après tout, vous connaissez a priori moins le contexte de leur entreprise qu’eux), et s’ils ne vous ont pas demandé votre avis c’est tout simplement parce que c’est ni votre argent, ni votre responsabilité, ni votre compétence.
- Une intervention violente de l’Etat génère une inefficience ou une rigidité du marché, qui empêche par exemple les entreprises inefficaces de disparaître. Dans ce cas, la solution ne se trouve pas dans encore davantage de violence étatique, mais dans la suppression du problème à sa source.
- Il y a opportunité entrepreneuriale que vous êtes le premier à avoir vue. Félicitations ! La voie de la richesse vous est ouverte. Vous estimez que les femmes ont à tort un salaire inférieur aux hommes ? Créez votre entreprise et n’engagez que des femmes, vous aurez un gros avantage en termes d’économies salariales. Vous estimez que Vasella ne devrait pas être payé 78 millions ? Vous estimez donc que Novartis gaspille 78 millions. Créez une entreprise concurrente, vous aurez déjà 78 millions de non-gaspillés comme avantage sur votre concurrent.
Le rejet des différences de richesse
Comme nous l’avons vu, il est tout à fait possible que des salaires élevés soient une aberration, auquel cas il existe des façons pacifiques de les corriger au travers des processus du marché. Mais il est aussi possible qu’ils soient justifiés : ce n’est pas à monsieur Minder d’en décider pas plus qu’à moi, mais bien au marché, c’est à dire à lui, moi et l’ensemble des autres individus interagissant librement sur le marché au travers de nos décisions libres et non-violentes. Mais alors, pourquoi les hauts salaires sont-ils a priori si suspects ?
L’idée que les différences de richesse serait injustifiées se retrouve dans l’initative « 1:12 - Pour des salaires équitables ». L’absurdité de l’initative se retrouve déjà dans les exceptions qu’elle a dû inclure, par exemple pour les stagiaires : une personne peut ne "mériter" aucun salaire, car elle est en formation. Détail mathématique amusant, nous pouvons déjà remarquer qu’un stagiaire rémunéré, même très mal, gagne bien plus de 12 fois plus qu’un stagiaire non-rémunéré (infiniment plus !). En cas d’acceptation, nous pouvons prévoir que les entreprises pourront tenter de contourner l’esprit de l’initiative, en privilégiant l’emploi de stagiaires, précarisant ainsi les conditions de travail des personnes peu qualifiées... Même type d’effets pervers qui peuvent être observés en France avec la surprotection de l’emploi.
La justification fondamentale du rejet des différences de richesse est due à la théorie erronée de la valeur-travail : l’idée que la valeur proviendrait du travail, autrement dit de l’effort consenti. Selon cette théorie, une personne ne peut pas faire tant d’effort que ça de plus qu’une autre, travailler plus de 12 fois plus dur. Donc, elle ne saurait mériter un salaire de tant supérieur. Or, pour dire les choses très simplement : les ampoules aux mains n’ont jamais nourri personne. Ce qui importe, c’est la richesse créée, et non l’effort consenti. Le problème, naturellement, c’est que le salaire horaire, qui semble reposer sur cette théorie, est largement répandu dans notre société. Or, il faut le voir comme un proxy, une façon simple d’estimer la vraie valeur que l’employé apporte à l’entreprise (ou le fournisseur au client), valeur qui ne dépend en réalité pas directement de l’effort ou des heures de travail. Ainsi, une personne compétente peut très bien réaliser un meilleur travail en moins de temps qu’une autre : la valeur apportée sera plus grande, alors qu’elle aura fourni moins d’effort.
En réalité donc, le travail en tant que tel n’a pas de valeur. Ce qui a de la valeur, c’est la production de biens et services demandés. Autrement dit, l’affectation du travail est tout aussi importante que le travail lui-même : si la moitié de la population est occupée à creuser des trous et l’autre à les remplir, le résultat sera le même que si tout le monde ne fait strictement rien. Pire en fait, car on mourra de faim plus vite à brûler des calories... Pire également, si la terre creusée est déversée sur les routes à grands frais et grands efforts. Un travail peut donc être productif, il peut être inutile, ou il peut être destructeur.
En conséquence : une personne ne peut pas mériter de gagner plus de 12x plus qu’une autre personne ? Eh bien si, et même 1’000 fois, ou infiniment plus. Si le salaire "mérité" est fonction de la valeur apportée, alors certaines personnes méritent de gagner énormément car elles ont rendu service à un grand nombre de personnes : un inventeur, par exemple, peut augmenter le niveau de vie ou l’espérance de vie de millions de personnes, méritant ainsi une richesse faramineuse. Une autre personne peut très bien faire un travail strictement inutile qui mérite un salaire de zéro. Une autre peut faire un travail destructeur, pour l’exercice duquel elle ne devrait en réalité non seulement pas être payée, mais payer un dédommagement à toutes les personnes qu’elle appauvrit par son "travail".
Le rejet de la richesse
Le troisième fondement de ces initatives est le plus basique : la jalousie de l’argent des autres. Plus précisément, l’indignation provoquée chez une personne A lorsqu’une personne B reçoit de l’argent d’une personne C.
On remarquera ainsi l’indignation suscitée par les 78 millions de Vasella, payés par Novartis, à comparer avec l’absence d’indignation populaire suscitée par, par exemple, les CHF 7,5 milliards par an que coûte le protectionnisme agricole suisse.
7,5 milliards annuels qu’il coûte, non pas à Novartis, mais à nous. Beaucoup moins choquant, certainement. Pourquoi ? Pour la simple bonne raison que pas grand monde n’en profite, de ces 7,5 milliards. Une bonne partie n’est en effet pas redistribuée, mais détruite, à cause des pertes de gains à l’échange induits par le protectionnisme douanier, sans oublier les coûts directs de ce dernier. Une autre partie est redistribuée à des paysans qui ne deviennent sans doute pas bien riches pour autant... en contrepartie de leur maintien dans la dépendance à la manne étatique, la bureaucratisaion de leur métier, et le fait que l’Etat les empêche de gagner sans doute davantage en restreignant leurs réelles possibilités de développement entrepreneurial (zonages, interdiction de certaines cultures, règlements, etc.).
Voici ce que nous pouvons donc en déduire : ce qui dérange n’est pas tant que quelqu’un paye 78 millions de francs, mais bien que quelqu’un les reçoive. Nous revenons ainsi à la base de la psychologie socialiste, qu’avait si bien compris Ayn Rand :
Ils ne cherchent pas à posséder votre argent ; ce qu’ils veulent, c’est vous en priver
La redistribution n’est ainsi qu’un aspect mineur du socialisme : son vrai but et conséquence est la destruction de valeur, la destruction du capital, la décroissance, la stagnation technologique, l’appauvrissement, la décivilisation, au contraire du capitalisme qui permet la création de valeur, l’accumulation de capital, la croissance, le progrès technologique, l’enrichissement, la civilisation.
Il n’est donc guère surprenant que face à des rémunérations prétendument "abusives", les socialistes vous diront :
personne ne devrait gagner autant
En effet, dans leur vision du monde, et dans le monde qu’ils construisent lorsqu’ils ont le pouvoir, personne ne devrait gagner autant, personne ne gagne autant, et personne ne gagnera jamais autant. Personne ne gagne grand chose, d’ailleurs, si ce n’est temporairement, en s’accaparant les richesses d’autrui, jusqu’à ce que leur jeu à somme négative les appauvrisse eux-mêmes. Ce qui est révélateur du succès éclatant du communisme en Corée du Nord n’est pas tant que certains apparatchniks exploitent et appauvrissent la population, mais bien que les apparatchniks eux-mêmes ne gagnent plus grand chose, et souffrent eux-mêmes de la famine qu’ils ont causée.
Les communistes ont toujours voulu non pas enrichir les pauvres, mais bien appauvrir les riches :
1917 год. Внучка декабриста слышит шум на улице и посылает прислугу узнать, в чем дело. Вскоре прислуга возвращается:
- Революция, барыня!
- О, революция! Мой дед мечтал о революции! И чего же они хотят?
- Они хотят, чтобы не было богатых.
- Странно. Мой дед хотел, чтобы не было бедных[1917. La petite-fille d’un décabriste entend du bruit dans la rue et envoie un servant voir de quoi il s’agit. Le servant revient rapidement:
- C’est la révolution, Madame !
- Oh, la révolution ! Mon grand-père rêvait de la révolution. Et que demandent-ils, ces révolutionnaires ?
- Ils demandent à ce qu’il n’y ait plus de riches, Madame.
- C’est étrange, mon grand-père, lui, voulait qu’il n’y ait plus de pauvres...]
Si les socialistes affirment donc que "personne ne devrait gagner autant", nous autres libéraux considérons exactement le contraire : tout le monde devrait gagner autant.