Institut Laissez-faire : La liberté sans compromis.

Les effets pervers d’une mauvaise défense du libéralisme

Dans l’esprit d’une grande majorité de la population, le libéralisme est une « idéologie bourgeoise », défendant l’intérêt des plus aisés et ne s’intéressant qu’à des questions économiques. Cela n’est finalement que peu surprenant. Aujourd’hui, rares sont les politiciens qui défendent la liberté ou la propriété d’un point de vue autre qu’économique. Ils transforment ainsi le libéralisme en une sorte d’utilitarisme. Pourtant, le libéralisme est absolument opposé à l’utilitarisme. Ce dernier juge en effet les actions par rapport à leurs conséquences. Le libéralisme, quant à lui, juge d’une action a priori, selon son respect ou non de la liberté et non a posteriori, selon ses conséquences. C’est pourquoi tout libéral se doit d’avoir une justification non utilitariste de la défense de la liberté. Nous en donnerons une avant de revenir sur les effets néfastes d’une défense conséquentialiste du libéralisme.

Une défense du libéralisme - pourquoi défendre la liberté et la propriété ?

Le libéral considère la liberté comme un droit naturel, un droit inhérent à la nature humaine. Violer la liberté d’un homme serait par conséquent lui nier sa propre humanité. Cette vision n’est pas un simple postulat comme on pourrait le croire à première vue. Il existe plusieurs argumentations justifiant le fait que la liberté fait partie de la nature humaine. Nous en donnerons une ici. Une caractéristique de l’être humain est d’appartenir à un tout (l’humanité), tout en restant unique, différent de ses semblables. Cette caractéristique, l’unicité de l’individu, fait donc partie de l’essence humaine. Mais cette unicité ne peut pas exister dans n’importe quelles conditions. Comment l’individu pourrait-il développer ses particularités s’il est forcé à entrer dans un moule ? La seule façon qu’a l’être humain de développer son unicité est de vivre librement, selon ses propres principes et sa propre volonté. En effet, à partir du moment où on le force à faire quelque chose, on lui ôte la possibilité de se différencier des autres. L’homme ne peut par conséquent être homme que s’il est libre. Défendre la liberté est ainsi défendre la nature humaine. La position libérale est ainsi une position humaniste.

Il convient à présent d’apporter une précision sur la liberté et sur sa limite : comment en effet concilier la liberté d’un individu avec celle d’un autre ? Leurs libertés respectives ne vont-elles pas se marcher dessus ? Selon le raisonnement précédent, la liberté fait partie de la nature de l’être humain en général. Si un individu, au nom de sa liberté, piétine la liberté d’un autre être humain, il portera du même coup atteinte à la nature humaine de sa victime, autrement dit à sa propre nature. Il se retrouve ainsi dans un paradoxe. La seule façon de l’éviter est de limiter la liberté d’un individu à celle d’un autre.

On parvient ici au concept de propriété. La propriété d’un individu est la sphère au sein de laquelle il possède une liberté absolue et à l’intérieur de laquelle les autres n’ont pas cette même liberté. Elle commence avec le corps de l’individu puis s’étend aux fruits de son travail car l’homme étant libre, ceux-ci doivent lui appartenir. Il ne serait sinon que l’esclave de celui qui s’en accapare sans contrepartie. Un troisième élément s’ajoute à la propriété : le fruit de l’échange volontaire. En effet, si deux individus possèdent chacun un bien et qu’ils décident librement de se les échanger, la propriété de l’un va à l’autre. Ainsi, la propriété est aussi un droit naturel, au même titre que la liberté, et sert à régler la répartition des ressources limitées entre les individus.

Les conséquences d’une mauvaise défense du libéralisme

On se rend donc compte, à la lumière de cette simple réflexion, que le libéralisme repose sur une philosophie morale absolument différente de l’utilitarisme. Les arguments utilitaristes et économiques avancés par les politiciens se disant libéraux ne rendent donc pas compte de ce que le libéralisme est vraiment. Au contraire, ils le déforment et contribuent au développement des préjugés à son sujet. Un exemple frappant est celui de la récente votation sur l’initiative « pour des impôts équitables ». Les initiants soutenaient que la morale voudrait qu’on imposât encore plus les riches au nom de la solidarité. Au lieu de répondre à la question de la moralité de l’impôt ou de rappeler que la vraie solidarité est volontaire, les politiciens se réclamant du libéralisme ont préféré discourir sur les effets de l’initiative sur l’économie suisse, sur son attractivité etc. Des arguments certes valables, mais plus utilitaristes que libéraux. Ils ont par là contribué à la propagation de l’idée reçue selon laquelle le libéralisme n’a pas d’autre valeur que l’économie et partant, que le libéral n’est qu’intéressé à la richesse, et donc égoïste.

Pire encore, on peut même avancer que ces « libéraux » ont, à force d’utiliser uniquement des arguments utilitaristes, oublié l‘essence réelle du libéralisme. Ils se sont en quelque sorte désinformés eux-mêmes. Mais supposons à leur crédit que les « libéraux » actuels se souviennent très bien de ce qu’est le libéralisme et que leur défense utilitariste et économique n’est qu’un choix stratégique et politique. Le libéralisme tend inéluctablement à être méconnu du fait de cette stratégie. Ils laissent en effet penser aux nouveaux arrivants, qui n’ont pas leur savoir, que le libéralisme est un utilitarisme. Peu à peu, le nombre de « nouveaux » dépassant celui des « anciens », la majorité en arrive à penser le libéralisme comme un utilitarisme, de surcroît souvent limité à l’économie. C’est ainsi tout un pan du libéralisme qui est abandonné par ces « libéraux ». Par exemple, niant aux individus la propriété de leur corps, ils refusent la libéralisation de la drogue parce qu’elle « supprime la notion d’interdit […] et provoque des ravages ». Une telle position montre clairement que son défendeur a oublié l’origine du libéralisme. Il se concentre sur les effets possibles d’une libéralisation alors que le libéralisme n’est pas conséquentialiste et invoque l’interdit alors que c’est la liberté qui est à sa base.

Comment le public pourrait-il croire que c’est parce que les libéraux considèrent la propriété comme un droit naturel découlant de la liberté qu’ils défendent un impôt faible, alors qu’ils refusent d’accorder cette même liberté à l’individu, lorsque l’usage qu’il pourrait en faire (se droguer dans notre exemple) les dérange ? À force de mal défendre les idées libérales, les « libéraux » ont désinformé le public et se sont probablement trompés eux-mêmes. C’est maintenant un réapprentissage de leurs racines qu’ils doivent entreprendre, puis une rééducation des non-libéraux sur ce qu’est vraiment le libéralisme. Un travail qui aurait pu être évité si le libéralisme avait été correctement défendu. Frédéric Bastiat le disait déjà en 1845 :  « ce qu’il y a de pire, pour une bonne cause, ce n’est pas d’être bien attaquée, mais d’être mal défendue ».