Institut Laissez-faire : La liberté sans compromis.

La sécurité ne justifie pas l’asservissement

La fameuse «obligation de servir» est un aspect de l’armée suisse qu’il est de bon ton de glorifier, non seulement comme étant indispensable à la sécurité nationale, mais aussi en tant que tradition immuable. La tradition suisse comprend certes une armée de milice et des citoyens-soldats armés et prêts à se battre pour défendre l’indépendance de leur pays. Mais cela n’implique pas qu’ils doivent le faire sous la contrainte: si le service militaire est bien patriotique et valorisant, plus d’un citoyen devrait être prêt à l’accomplir même sans la menace de la prison. De plus, il est absurde d’être fier d’actes accomplis sous cette menace: sans le libre choix, il ne peut être ni glorieux ni patriotique de «servir son pays».

Le caractère indispensable d’un service ou même sa nature de «bien public» ne justifient qu’il faille recruter par la force ceux qui le fourniront. Pouvoir acheter de quoi manger est tout aussi indispensable qu’être protégé contre d’éventuelles invasions militaires. Est-ce une raison suffisante pour user de la contrainte afin de forcer tous les individus de sexe masculin à travailler dans l’agroalimentaire pendant une partie de leur vie, pour un salaire nécessairement inférieur à celui qu’ils auraient accepté de plein gré?

Les prix et les salaires sont des incitations économiques suffisantes pour garantir qu’un service demandé soit fourni de façon efficace. La coercition, bon marché en apparence, n’est en revanche pas gratuite. D’une part, il y a les coûts directs du recrutement forcé: s’assurer de la venue des conscrits, s’immiscer dans la sphère privée en questionnant les motifs des objecteurs de conscience et bien sûr payer la prison pour les récalcitrants. D’autre part, l’économie perd des travailleurs arrachés à leur activité productive. Et pour les recrues qui n’avaient pas d’emploi, mais auraient pu en trouver si la conscription ne les en avait pas empêchés, ils supportent le coût d’opportunité de passer des mois à une activité moins bien rémunérée et risquent ainsi de se retrouver en difficulté financière. Enfin, lorsqu’il n’empêche pas des jeunes hommes de travailler, le service militaire les retarde ou les pénalise dans leurs études. La perte de productivité ainsi induite serait comprise entre 3 et 4 milliards de francs par an...

Les inefficacités internes d’une armée non volontaire constituent une raison supplémentaire de préférer la liberté à la contrainte. Par exemple, certaines recrues risquent d’éviter de se montrer compétentes pour échapper aux jours de service supplémentaires qu’implique une montée en grade, celle-ci n’étant alors plus vue comme un honneur réservé aux plus aptes, mais plutôt comme une sanction! Belle procédure de sélection. Le pouvoir de disposer de soldats non volontaires risque en outre de conduire à l’irresponsabilité dans la gestion des ressources – un peu comme les budgets illimités que l’armée donne parfois l’impression de souhaiter. Relevons également les nombreux accidents, parfois mortels, qui surviennent à l’armée: ils sont inacceptables puisqu’ils arrivent à des personnes qui n’ont pas accepté de leur plein gré de courir ce risque.

Autant de coûts inutiles, injustifiés et moralement inadmissibles: forcer quelqu’un à faire quelque chose qu’il n’a pas choisi, dans des conditions sur lesquelles il n’a pas de contrôle et pour un salaire qu’il n’a pas accepté n’est pas anodin et s’apparente à de l’esclavage. La sécurité d’un pays ne saurait justifier l’asservissement de ses citoyens; il est contradictoire de vouloir défendre leur liberté tout en la supprimant arbitrairement pour certains d’entre eux.

Quant à la taxe militaire, qui punit les hommes n’ayant pas accompli leur «devoir citoyen» elle n’est qu’un impôt injuste de plus: tout le monde s’acquitte déjà d’impôts censés financer la sécurité nationale, et les femmes qui ne font pas l’armée n’ont pas à le payer! Une atteinte flagrante à l’égalité en droit pourtant proclamée par la Constitution, qui montre que dès qu’il est question de choses militaires, de nombreux acquis civilisationnels semblent soudain oubliés. Même la justice cesse d’être universelle, puisque c’est le Code pénal militaire qui s’applique. Il serait temps que la Suisse se dote d’une armée plus compatible avec les principes d’un Etat de droit qu’elle reconnaît par ailleurs: une armée fondée sur une base contractuelle, composée de professionnels et de miliciens volontaires.