Institut Laissez-faire : La liberté sans compromis.

La «guerre à la drogue» aggrave les problèmes

Dans une société libre, chacun devrait être reconnu comme étant propriétaire de son propre corps et, ainsi, devrait pouvoir en faire ce que bon lui semble. Que cela soit moralement condamnable ou pas. L’Etat doit veiller à protéger les citoyens les uns des autres, et non chacun de lui-même. Le port obligatoire de la ceinture de sécurité, l’interdiction de manger gras et, pourquoi pas, aussi l’interdiction de se suicider ou le sport obligatoire sont autant d’idées auxquelles mène une vision paternaliste de l’Etat. Un Etat qui devrait veiller de près sur chaque citoyen pour l’empêcher de se faire du mal, ou plus précisément de faire ce que le pouvoir politique du moment désapprouve et donc étiquette à tort ou à raison comme tel. 

L’interdiction de certaines substances considérées plus ou moins arbitrairement comme «drogue» en est un exemple flagrant. Des produits dont l’interdiction ne semble justifiée par aucun critère commun clair: si la raison de l’interdiction est la dépendance, il faudrait commencer par interdire le tabac, produit avec le taux de consommateurs dépendants le plus important; s’il est question de risques pour la santé, c’est l’alcool, dont l’abus cause de nombreuses morts, contrairement au cannabis, qui devrait être la cible de la politique prohibitionniste. L’arbitraire de la distinction entre produits légaux et illégaux, ainsi que la nécessité d’envisager la question dans une perspective plus globale et plus réaliste, semble d’ailleurs compris par le dernier rapport de la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues. 

Paradoxalement, c’est en menant une politique «laxiste», tolérant dans une certaine mesure la consommation, voire le trafic (on pense notamment aux «zones d’exclusion» pour les dealers à Genève), que la Suisse a pu dans une large mesure s’épargner des problèmes de mafias violentes. Aux Etats-Unis, où la «guerre à la drogue» est menée de façon extrêmement répressive, remplissant les prisons de trafiquants et de simples consommateurs, ces problèmes sont bien plus graves, tout comme ils l’étaient d’ailleurs du temps de la prohibition d’alcool: les trafiquants savent qu’ils peuvent faire de gros profits, mais, en même temps, ils prennent de gros risques, ils vont alors s’armer (en armes illégales, bien sûr) et seront prêts à en découdre avec les gangs rivaux ou la police, dans le cas où ils n’auraient pas réussi à la corrompre grâce à la lucrativité accrue de leur trafic. 

L’idée d’interdire les drogues pour faire augmenter leur prix, et ainsi la difficulté d’en acquérir afin de réduire le nombre de consommateurs, est fallacieuse. En effet, les drogues sont des produits dont la consommation est peu sensible au prix (faible élasticité): l’interdiction fait augmenter les prix, mais les consommateurs, et surtout ceux qui sont dépendants, dont l’irresponsabilité sert justement de prétexte à l’interdiction, ne vont pas réduire leur consommation pour autant. Ou du moins pas dans des proportions suffisamment importantes pour compenser l’énorme coût social de la politique répressive, d’autant moins efficace qu’elle sature les prisons d’individus n’ayant agressé personne. L’augmentation des prix attire en outre de nouveaux trafiquants, et n’atteint alors pas son but de réduction du trafic. Par contre, les effets pervers de la prohibition sont légion: les consommateurs réellement dépendants, ayant besoin de plus d’argent pour acquérir leur dose, seront plus facilement tentés par la criminalité; la qualité des produits va baisser, avec les conséquences que cela implique comme le risque accru d’overdose ou de problèmes médicaux liés non pas à la drogue elle-même, mais à ce avec quoi elle est coupée. Pas étonnant dès lors que de plus en plus de médecins et de policiers sont favorables à une légalisation partielle ou totale.

Les ressources humaines et financières gaspillées dans une guerre contre la drogue, qui ne fait qu’empirer les problèmes qu’elle est censée résoudre, pourraient être bien mieux investies. La réaffectation des policiers à des tâches plus utiles, la disparition du trafic et de ses externalités regrettables (problèmes de voisinage, criminalité associée, etc.), la possibilité pour les consommateurs de vivre une vie plus normale et moins dangereuse pour eux et pour autrui, tout cela aurait des conséquences positives non seulement pour ceux directement concernés, mais également pour l’ensemble de la société.