Dans le texte qui suit1, nous commencerons par mettre en évidence les problèmes résultant d’une définition erronée de l’inflation et de la déflation. Nous établirons ensuite une taxonomie de la déflation, ce qui nous permettra de sortir de la vision « macro-économique » trompeuse de la déflation et d’échapper ainsi enfin à la fausse dichotomie entre les deux maux supposés que seraient l’inflation (le prétendu moindre mal) et la déflation (le prétendu plus grand mal). Ceci nous permettra de révéler l’absence complète de fondement économique des politiques « anti-déflationnistes » (inflationnistes) et la nature destructrice de l’intervention de l’État dans le domaine monétaire.
Deux brèves études de cas expliquant les causes principales des problèmes monétaires des États-Unis et de l’Argentine nous montreront l’importance d’une analyse de la déflation solidement ancrée méthodologiquement — et donc économiquement sensée.
1. Inflation et déflation : concepts de base
Les notions actuelles de l’inflation et de la déflation sont très différentes de leurs perceptions antérieures2 :
La révolution sémantique qui constitue l’une des caractéristiques typiques de notre époque a aussi changé les connotations traditionnelles des termes inflation et déflation. Ce que bon nombre de personnes appellent aujourd’hui inflation et déflation ne sont plus respectivement la hausse et la baisse de la quantité de monnaie, mais leurs conséquences inexorables, soit la tendance générale vers une hausse ou baisse des prix des biens de consommation et des salaires. Cette évolution sémantique n’est en rien inoffensive. Elle contribue de manière importante au développement des tendances populaires vers l’inflationnisme.
En premier lieu, il n’y ainsi plus aucun terme à disposition pour signifier ce que inflation signifiait. Et il est impossible de combattre une politique qu’on ne peut pas même nommer3.
La définition classique de l’inflation trouve ses racines dans la première moitié du XIXe siècle, dans un litige qui opposait alors deux écoles de pensée économique britanniques, la Currency School, qui défendait une monnaie solide, et la Banking School, qui prônait une politique inflationniste4. La Currency School, dont les idées ont à l’époque fini par prévaloir, affirmait en effet que si l’on permet la production de billets de banque en une quantité dépassant les réserves d’or (la création de monnaie fiduciaire non-couverte) et que ces billets entrent en circulation par le biais des prêts bancaires, alors cela entraînera une hausse des prix et des salaires dans l’économie domestique, provoquant un déficit de la balance des paiements, qui devra alors être couvert par la vente des réserves d’or à l’étranger. Puisque cette situation contraindra les banques à restreindre le nombre de prêts (car la monnaie est encore liée à l’or), la prospérité initiale fera alors place à une récession économique. Ce cycle économique se répétera tant qu’il y aura de l’inflation — de la production de monnaie fiduciaire non couverte par l’or.
À la fin du XIXe siècle, cependant, la définition de la Banking School commençait à être de plus en plus utilisée5, or celle-ci ne considérait comme inflation que la hausse de la quantité de monnaie non-couverte au-delà des « besoins du commerce ». Alors que, par exemple, les auteurs autrichiens de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde guerre mondiale (principalement Mises et Hayek) sont restés fidèles à la définition initiale et ont étendu les idées de la Currency School en théorie complète des cycles économiques6, la majorité de la communauté économique d’alors s’est ralliée à la seconde définition, suivant les économistes influents de l’époque tels que notamment Irving Fisher7. Cette seconde définition évolua finalement vers la définition « moderne », soit que l’inflation représente la hausse du niveau des prix et la déflation sa baisse8.
Or, les définitions « modernes » de l’inflation et de la déflation causent des difficultés évidentes et insurmontables pour l’analyse économique, difficultés déjà pressenties dans ces débats d’il y a plusieurs siècles.
1.1. Intangibilité conceptuelle
Un premier problème insurmontable est constitué par le degré d’arbitraire de la définition de tout « panier du consommateur », nécessaire à l’établissement d’un indice des prix (par exemple des prix à la consommation). Il n’existe aucun moyen satisfaisant qui permettrait de construire le « bon » indice, et ainsi « mesurer » l’inflation. Comment dès lors distinguer et déterminer quelle émission monétaire est encore « non-inflationniste » et laquelle est déjà « inflationniste » ? Nulle méthode (scientifique) satisfaisante ne peut être trouvée, par nature même du problème9.
1.2. Non-scientificité
Même si cette limite entre « inflation nulle » (« stabilité des prix ») et « inflation » (hausse des prix) lors de l’acroissement de la monnaie en circulation pouvait être identifiée, le problème serait loin d’être résolu. En effet, puisque l’injection de monnaie additionnelle dans l’économie a des conséquences de grande envergure, alors ces conséquences se produiront quel que soit le « niveau des prix » :
Même une « inflation nulle » impliquerait une forme ou une autre d’échec des signaux des prix dans leur rôle de refléter de manière transparente et précise l’état réel et le progrès des capacités réelles de production10.
Ou, comme le dit Hayek :
Aussi longtemps que la quantité de monnaie en circulation change constamment, les cycles économiques ne peuvent être évités. En particulier, toute politique monétaire visant à stabiliser la valeur de l’argent et impliquant, dès lors, une hausse de la masse monétaire pour accompagner une hausse de la production, doit nécessairement conduire aux fluctuations-même qu’elle prétend empêcher11.
La théorie économique nous enseigne, par exemple, que la hausse de la quantité de monnaie non-couverte a nécessairement des effets redistributifs. En effet, cet argent additionnel dilue le pouvoir d’achat de l’argent existant, constituant ainsi un « impôt sur la possession d’argent liquide ». L’inflation implique donc nécessairement, avant même toute considération de Droit ou d’éthique, un problème économique fondamental12 : certains seront appauvris par cette politique (ceux qui ne recevront pas, ou ne recevront que tardivement, la nouvelle monnaie), tandis que d’autres y gagneront (les premiers récipiendaires de la nouvelle monnaie)13. Dans cette situation, comment pourrions-nous donc, en tant qu’économistes, parler des avantages de la création monétaire, sans trahir les bases de notre science en commettant d’intenables comparaisons interpersonnelles d’utilité14 ?
Comment, en effet, pourrions-nous affirmer que la création monétaire serait bénéfique, autrement qu’en supposant que les gains des uns surpassent les pertes des autres ? Mais une fois cela affirmé, nous ne saurions plus nous prétendre économistes, scientifiques, raisonnant à partir de l’utilité subjective. Nous ne serions alors plus que de simples théoriciens qui, tels de vulgaires planificiateurs étatiques, recourent délibérement à la violence ou à la menace de la violence (le monopole étatique sur l’émission de monnaie) afin d’attribuer, au détriment d’un groupe donné de personnes, des privilèges à un autre groupe donné de personnes, en transférant effectivement la propriété des premières vers les secondes.
1.3. Politisation et effet cumulatif
Toute baisse de l’indice des prix — synonyme de déflation selon la définition moderne — pousse à entamer une politique anti-déflationniste (autrement dit, selon l’ancienne conception : nocivement inflationniste), qui entraînera alors redistributions, distorsions du calcul économique et d’autres effets destructeurs ... qui seront alors excusés par le prétexte d’avoir évité un plus grand mal — la déflation15. (À nouveau, nous sommes confrontés au problème insurmontable de la comparaison interpersonnelle d’utilités !)
Comme le note Mises avec justesse :
Il est ainsi évident que ces nouvelles significations des termes inflation et déflation sont trompeuses et sources de confusion et doivent être rejetées inconditionnellement16.
Dans la suite du texte, nous allons donc utiliser les termes inflation et déflation dans leur sens original et emploierons « inflation » et « déflation », entre guillemets, si nous parlons respectivement de la hausse ou de la baisse du « niveau des prix ».
2. Déflation et « déflation » : taxonomie
L’objet principal de notre étude étant la problématique de la déflation, avec et sans guillemets, c’est cette dernière que nous allons à présent discuter en détails17.
Pour être en mesure d’aborder cette problématique, autour de laquelle règnent un grand nombre de mythes et d’idées fausses, de manière systématique, nous ne sombrerons pas dans l’approche « macroéconomique » consistant à se lamenter de la baisse des prix, mais procéderons au contraire à une classification18 des différents phénomènes nommés déflation (à tort ou à raison), ce qui nous permettra de bien mieux cerner la problématique.
En effet, une situation où l’on peut observer des prix en baisse en présence d’une politique monétaire active peut survenir pour quatre raisons, dont seules deux relèvent véritablement de la déflation au sens original :
- La croissance économique entraîne une baisse des prix (hausse de la demande de monnaie), « déflation » (qui sert alors de prétexte à une politique monétaire inflationniste) ;
- La « thésaurisation » entraîne une baisse des prix (hausse de la demande de monnaie), « déflation » (qui sert alors de prétexte à une politique monétaire inflationniste) ;
- Une baisse du crédit bancaire (politique monétaire déflationniste) entraîne une réduction de l’offre de monnaie, déflation, qui entraîne une baisse des prix ;
- Des mesures confiscatoires entraînent une réduction de l’offre de monnaie, déflation, qui entraîne une baisse des prix.
La nécessité de ces précisions terminologiques montre bien à quel point il est difficile de combattre une politique qu’on ne sait même plus nommer.
2.1. La « déflation » comme effet de la croissance économique
Ce type de « déflation » — hausse de la demande de monnaie — constitue l’état naturel d’une économie en croissance. Grâce à l’augmentation de la productivité, une plus grande quantité de marchandises est produite dans l’économie. Les producteurs se retrouvent alors en concurrence accrue pour la quantité — inchangée — d’unités monétaires disponibles dans l’économie, afin d’écouler la quantité — accrue — de biens produits. Cela signifie que la valeur de la monnaie (sa demande) augmente, qu’une même unité d’argent permet d’acheter davantage de marchandises, autrement dit que les prix ont tendance à baisser. La monnaie remplit toujours sa fonction de moyen d’échange, et les nouveaux prix reflètent fidèlement les intensités des préférences des participants du marché ainsi que les raretés relatives des resources. Grâce à cela, il n’y a pas de gaspillages dans l’économie, ce qui crée un environment favorable à encore davantage de développement. Puisque le calcul économique rationnel est possible (les prix reflètent correctement les informations pertinentes sur la situation du marché), il n’y pas de raison pour que l’économie ne croisse pas : bien au contraire.
Une telle situation de croissance et de baisse des prix constitue d’ailleurs la norme pour les périodes entre différents chocs inflationnistes, chocs généralement initiés par les États pour financer leurs guerres. Ainsi par exemple, aux États-Unis entre 1880 et 1896, l’indice des prix de gros a chuté d’environ 30%, ce qui représente une diminution annuelle moyenne de 1,75%, alors que le revenu réel avait augmenté d’environ 85%, ce qui représente environ 5% par an19. Même actuellement, malgré l’inflation constante orchestrée par les banques centrales, il y a des secteurs qui sont en plein essor accompagné de « déflation » (baisse des prix de leurs produits) : l’industrie informatique, l’électronique grand public (cassettes vidéo, DVD, TV, etc.), la téléphonie mobile... Ce qui intéresse le plus les producteurs, finalement, ce sont les marges entre les prix d’achat et de vente, c’est à dire la différence entre les prix de leurs inputs et ceux de leurs outputs, qui représente leurs profits. L’évolution du « niveau des prix » n’est pas déterminante pour eux. De même pour les employés, une éventuelle baisse de leurs salaires nominaux ne constitue pas un problème, puisque leur pouvoir d’achat réel augmente20.
2.1.1. Conséquences de la lutte contre cette « déflation »
Qu’arrivera-t-il alors si l’État (la banque centrale), afin de lutter contre la « déflation », initie une expansion de masse monétaire, afin de provoquer une hausse des prix ?
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Le système des prix sera perturbé, entraînant mauvaise coordination économique et gapillages. Accessoirement, cela causera le phénomène des cycles économiques, ce qui aggravera encore lourdement les conséquences de la perturbation des signaux des prix21.
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Les revenus seront inévitablement redistribués dans le cadre de cette politique. La rémunération des participants du marché (employés, managers, propriétaires de capital, etc.), en effet, ne dépendra plus seulement de leur propre productivité, mais également de la faveur des banquiers centraux envers telle branche de l’économie ou telle autre, selon la façon dont la nouvelle monnaie sera mise en circulation.
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Le chômage est souvent mentionné comme conséquence de la « déflation » en raison de la « rigidité des salaires à la baisse », l’inflation permettant alors de l’éviter par une baisse des salaires réels cachée par des salaires nominaux constants (ou même en hausse mais de moins que l’inflation). Or, en cas de « déflation », ce chômage ne toucherait que ceux qui auraient auparavant « conquis » cette rigidité, par exemple les employés syndiqués. Avec la politique « anti-déflationniste », en revanche, la banque centrale essaie de facto de les tromper, de les protéger contre leurs propres décisions de ne pas se fier aux prix du marché... Et c’est donc pour cela que la banque centrale perturbe l’ensemble du système de prix de toute l’économie ! Avec pour conséquence des effets destructeurs, dont du chômage, qui affecteront non seulement ces employés syndiqués, mais l’ensemble des participants au marché. En particulier, cela entraîne un appauvrissement général de la société, ainsi que l’incitation à un comportement pervers où un premier groupe de personnes doit supporter les conséquences des choix d’un deuxième groupe de personnes, à cause du fait qu’un troisième groupe de personnes a décidé de tromper le deuxième groupe, tout en taxant (taxe inflationniste) aussi bien le premier que le deuxième groupe, afin d’avoir de quoi financer sa tromperie et sa redistribution.
2.2. La « déflation » comme conséquence de la « thésaurisation »
Pour de nombreux économistes, la « thésaurisation » (accumulation de liquidités) constitue un épouvantail, surtout depuis la « révolution keynésienne », puisque le « problème » keynésien de la « fuite » des liquidités du circuit économique (« trappe à liquidités ») fait de ceux qui accumulent de l’argent liquide des ennemis de la nation. Ceci donna d’ailleurs le ton des discours politiques visant à règler ce genre de « problème » : « La lutte doit aujourd’hui être menée contre la thésaurisation ! », proclamait en 1932 Hoover22.
Selon d’autres auteurs en revanche, cette haine excessive de la part des politiciens devrait nous rendre méfiants de leurs accusations contre la thésaurisation, et nous faire au contraire défendre ceux qui la pratiquent comme des héros, qui permettent aux autres consommateurs d’acquérir davantage de biens par unité monétaire qu’ils ne l’auraient pu autrement23 — justement, grâce à la « déflation ». Comment expliquer cela ?
La « thésaurisation » signifie que certains décident volontairement, pour une raison ou une autre, d’augmenter la quantité d’argent liquide qu’ils détiennent (plutôt que de le dépenser, déposer à la banque ou investir)24. La demande accrue d’unités monétaires implique que leur « prix », exprimé en termes de biens et services, va augmenter. Dans cette situation, tout naturellement, vendre une même quantité donnée de biens et services ne sera possible que contre une quantité moindre d’unités monétaires : ce que les économistes d’aujourd’hui appellent une « baisse du niveau dex prix » — la « déflation ». Cette nouvelle structure des prix est parfaitement légitime, puisqu’elle correspond à la situation du marché, c’est à dire aux choix libres des consommateurs de faire ce qu’ils veulent de leur argent selon leurs préférences subjectives, au même titre que n’importe quel autre changement de leurs goûts ou comportements affecte inévitablement la structure des prix dans toute économie dynamique.
2.2.1. Conséquences de la lutte contre cette « déflation »
Si, dans cette situation, la banque centrale recourt à une politique « anti-déflation », son activité aura, en plus des conséquences catrastrophiques déjà mentionnées (redistribution, cycle économique) aussi la conséquence suivante : la personne qui aura tenté d’« accumuler du pouvoir d’achat », pour des raisons qu’elle considérait comme importantes, aura, en se retenant de certains de ses achats (par son comportement sur le marché), influencé le marché, de la même façon que si ses goûts avaient changé. La banque centrale réagit alors en « injectant des liquidités », afin de « corriger » le marché (contre-balancer les décisions volontaires et responsables de ses participants) et « stabiliser » le « niveau des prix ». Les nouvelles liquidités, cependant, seront reçues par d’autres personnes, qui feront leurs choix de consommation, qui mèneront selon toute vraisemblance à une hausse des prix dans d’autres secteurs25. Par la force de son monopole, la banque centrale aura ainsi, en « corrigeant » le résultat des choix légitimes, pacifiques et responsables des consommateurs, causé une distorsion de la structure des prix et des dépenses, entraînant désorganisaiton du marché et gaspillage. Considérer une telle destruction de valeur comme un objectif légitime de l’activité de l’État est pour le moins douteux, et totalement erroné du point de vue de la théorie économique.
2. 3. La déflation comme baisse du crédit bancaire
Nous arrivons maintenant au premier des deux cas de déflation au sens strict, c’est à dire du côté de l’offre de monnaie. La situation est la suivante (et s’est déjà produite plusieurs fois dans l’histoire moderne, voir encadré). Suite aux crises financières, les particuliers retirent en masse leur argent de leurs comptes courants (historiquement, sous forme d’or26), ce qui crée des problèmes importants de liquidité pour les banques, qui peuvent aller jusqu’à la faillitie. Cela aggrave encore la crise financière, de plus en plus d’épargnants doutent de la bonne santé financière de leur banque, et se rendent alors aux guichets pour demander le paiement de leurs comptes courants (autrement dit, demandant à la banque d’honorer son engagement à restituer l’argent de ce type de compte sur simple demande). Les banques cherchent à augmenter leurs réserves, afin de pouvoir remplir leurs obligations. L’augmentation des réserves (historiquement, le rachat d’or) conduit à une réduction de l’offre de monnaie, et donc à une hausse de sa valeur — une déflation, suivie d’une baisse des prix.
Cependant, il faut se rendre compte que le problème des « réserves insuffisantes » et donc de l’incapacité des banques à honorer leurs engagements n’est pas dû à une mystérieuse « insuffisance d’or »27 mais bien au fait que les banques ont émis des titres de propriété pour de l’argent (historiquement, de l’or) qu’elles ne détiennent pas, autrement dit qu’elles fonctionnent en réserves partielles28. La mise en place d’un tel système est nécessairement liée à une inflation initiale (une hausse de l’offre de monnaie par l’impression de billets non-couverts), avec toutes les conséquences négatives habituelles (redistribution, cycles économiques, gaspillage, etc.). En outre, un système stable avec couverture à 100% des dépôts à vue, dans lequel n’importe quel nombre de clients peuvent s’adresser à leur banque pour sortir de l’argent de leur compte (puisque les actifs de la banque correspondent à ses passifs), se retrouve converti en système instable de réserves partielles, où toute volonté un peu trop massive des clients de retirer leur argent implique une menace de déclencher l’effondrement de l’ensemble du système bancaire et financier.
La déflation, soit une réduction de l’offre de monnaie par l’élimination du produit de l’inflation originale, relève dès lors d’un retour salutaire à la normale pour le système bancaire et l’économie — à une situation de marché sans violation des droits de propriété, permettant ainsi coordination et non-gaspillage. C’est bien pour cela qu’avant la Première Guerre mondiale, même les banques centrales y recouraient, afin d’éviter l’effondrement du système bancaire. Les périodes de déflation étaient relativement brèves, et l’élimination des effets inévitables des inflations qui les précédaient était ainsi relativement rapide (voir encadré). La déflation comme baisse du crédit bancaire est donc saine et étroitement liée à la restauration du Droit — le respect de la propriété privée.
La crise économique de 1839-1843
À l’automne de 1839 une crise financière eut lieu aux États-Unis, causée par une expansion massive de l’offre de monnaie durant les années 1830, initiée par la Second Bank of the United States, qui jouissait de privilèges légaux. Du sommet du cycle économique en 1839 jusqu’à son creux en 1843, l’offre de monnaie fut contractée d’environ un tiers (34%), presqu’un quart des banques du pays s’effondrèrent (23%), y compris la Bank of the United States, et les prix de gros chutèrent de 42%. Malgré — ou plutôt grâce à — la baisse massive des prix, le PNB réel et la consommation réelles ont en fait augmenté durant cette période, respectivement de 16% et 21%. Cependant, l’investisement réel baissa durant cette période de 23%, ce qui n’était pas une mauvaise chose, puisque les malinvestissements de la précédente période de boom inflationniste devaient être liquidés. Malheureusement, la possibilité de tels épisodes bénéfiques de récupération de propriété a été oubliée à la suite de la Grande Dépression. Malgré le fait que la déflation du crédit bancaire qui se produisit de 1929 à 1933 était, relativement à l’offre de monnaie, comparable dans son impact à celle de 1839-1843, la rigidité des prix et des salaires causée par les politique de « stabilisation » des gouvernements de Hoover puis de Roosevelt empêcha la déflation de causer la nécessaire réallocation des resources demandée par les propriétaires. Avec le libre échange des titres de propriété ainsi entravé, l’économie se contracta d’environ un tiers et la consommation chuta d’un cinquième durant les années 1929 à 193329.
2.3.1. Conséquences de la lutte contre cette déflation
Si, afin de combattre cette déflation, les autorités bancaires décident d’augmenter la masse monétaire30, ceci aura pour conséquence, en plus de tous les effets délétères déjà mentionnés, de supprimer l’incitation à fournir des services bancaires honnêtes. En effet, le système de propriété privée s’en trouve corrompu, puisque, dès le moment où des clients d’une banque se rendent compte qu’elle les trompe, et pourraient réclamer leur dû (y compris par des moyens juridiques), et la pousser ainsi à la faillite, la banque centrale couvre cette activité frauduleuse par l’« injection de liquidités ». Naturellement, cela fait que le comporterment frauduleux des banques demeure inchangé — elles peuvent sans crainte continuer à le pratiquer.
2.4. déflation confiscatoire
Les différentes déflations et « déflations » que nous avons vues jusqu’ici ont toujours relevé d’une réaction du marché à une évolution normale de l’économie ou d’une correction d’une inflation artificiellement générée par l’État. Il s’agissait donc de processus économiquement bénéfiques, puisqu’il était question de processus de marché (volontaires) adaptatifs, réagissant à des circonstances changées — le rôle même du marché et de son mécanisme des prix ! Il existe cependant, comme l’ont montré Rothbard et Salerno, encore un type de déflation, de nature différente. Il s’agit d’une déflation organisée par l’État, qui a pour but, en sabotant le marché et bafouant les droits de propriété (par la confiscation des liquidités), d’empêcher le résultat du précédent type de déflation (voir ci-dessus), soit le processus de rétablissement d’un système bancaire sain par la faillite des banques à réserves partielles. Cela se produit par exemple actuellement en Argentine31. Cette politique étatique a pour but d’empêcher les acteurs économiques d’user d’argent liquide, ceci afin de résoudre le problème du « désequilibre » sur le marché monétaire, créé par l’inflation précédente. Une politique déflationniste active, cependant, n’est pas et ne saurait être un moyen sensé de résoudre les problèmes engendrés par l’inflation :
En réalité, l’inflation des prix n’est pas une maladie devant être combattue par l’État ; il suffit juste que l’État cesse d’augmenter la masse monétaire32.
2.4.1. Conséquences de cette déflation
Les dommages causés par l’inflation sont déjà faits et ne sauraient être corrigés par une déflation forcée. Comme déjà mentionné, l’inflation perturbe la structure des prix, entraînant gaspillages, redistributions et cycles économiques. Si l’État cesse de tenter de s’enrichir aux moyens de l’inflation au détriment de la population, l’économie s’en remettra après une phase d’ajustement où les prix atteindront à nouveau leur niveau naturel (qui n’est plus nécessairement le même qu’auparavant !).
Mais si, en revanche, l’État adopte une politique déflationniste confiscatoire, et empêche les épargnants et les entrepreneurs de découvrir les causes véritables de la politique inflationniste, il aura porté un nouveau coup à l’économie, puisque la nouvelle structure émergente des prix sera une nouvelle fois perturbée, entraînant un nouveau cycle de gaspillages et redistributions aux conséquences dommageables d’une portée considérable sur l’ensemble de la société.
Avec une déflation initiée par le marché (2.3. supra) il reste possible d’utiliser son argent (qui s’apprécie), et participer ainsi à la formation de la nouvelle structure sensée des prix. Dans le cas de la déflation initiée par l’État, en revanche, les restrictions artificielles sur l’usage de la monnaie poussent à sortir du circuit monétaire et à revenir à l’économie de troc, nécessairement moins efficace. L’économie perd alors le mécanisme qui lui aurait permis de se remettre rapidement de l’inflation, tout en devant subir une déflation artificielle faussement correctrice.
3. Conclusion
Comme nous l’avons montré dans l’analyse, une politique monétaire active — notamment « anti-déflationniste » — est indéfendable du point de vue économique. Tout économiste qui tenterait de la défendre devrait en effet commencer par nier les fondements de la science économique ; il devrait déclarer quelque chose come : « Oui, je défends une politique inflationniste, qui perturbera l’allocation des resources par le marché et dont les conséquences nécessaires seront des gains pour les uns et des pertes pour d’autres, autrement dit une redistribution des richesses ». Il aura alors commis une comparaison interpersonnelle d’utilité, et se sera dès lors complètement discrédité en tant qu’économiste ; il devra admettre qu’il nie le résultat des interactions libres entre propriétaires légitimes, pour leur substituer sa volonté personnelle, à laquelle tous devraient se soumettre. Les raisons de son comportement ne sont pas pertinentes — l’impossibilité d’une défense économique de la redistribution par l’inflation ne saurait être rachetée par nul motif, aussi noble soit-il.
Aussi longtemps que la science économique sera bâtie sur la subjectivité de l’utilité, impossible à comparer d’une personne à l’autre, une seule conclusion s’imposera en la matière : l’inflation, y compris les politiques inflationnistes (« anti-déflation »), sont et demeurent un mal, qui entraîne un effondrement des relations économiques pacifiques et l’appauvrissement de l’économie. Des prix régulièrement en baisse sont dès lors une caractéristique définitive d’une économie prospère, dans laquelle les droits de propriété sont respectés.