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L'archaïsme d'une diversité de la culture étatisée

Les mots sont parfois étranges: si par «Révolution culturelle» il fallait comprendre «destruction de monuments culturels», entre autres exactions, «diversité culturelle» se traduit par «pouvoir souverain des Etats de restreindre la liberté culturelle de leurs citoyens».

Il en va ainsi de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l'Unesco, ratifiée récemment par le Conseil des Etats. Ce n'est pas un hasard si la Convention indique que «nul ne peut invoquer les dispositions de la présente Convention pour porter atteinte aux droits de l'homme»: il était nécessaire de le préciser, puisque le reste du texte ne vise à rien d'autre qu'à faire passer la souveraineté des Etats avant les droits individuels des habitants de leurs pays. La «monoculture» imposée manu militari aux Afghans pendant les années talibans a pourtant bien montré jusqu'où peut mener la «souveraineté culturelle». La pseudo-diversité nationaliste que l'Unesco souhaite imposer est une menace pour la vraie diversité, celle qui résulte des libres choix des individus, nécessairement diversifiés, contrairement à des décisions bureaucratiques prises au nom de pays entiers.

Dans une optique pluraliste et ouverte, il semblerait normal que chacun, quelle que soit sa nationalité et où qu'il réside, puisse choisir librement d'écouter la musique et regarder les films qu'il souhaite, d'où qu'ils viennent. Or, concrètement, la Convention implique bel et bien tout le contraire: elle enracine la légitimité pour le pouvoir politique de subventionner certaines productions culturelles, de limiter l'importation ou la diffusion d'autres productions, de décider à la place des radios et de leurs auditeurs quelle musique, de quelle «nationalité» doit être diffusée, ou encore de forcer les chaînes de télévision ou les cinémas à diffuser des productions «nationales». C'est à croire qu'un bon Suisse doit nécessairement apprécier le cinéma suisse - ou du moins européen. La «diversité» culturelle devient ainsi un paravent commode pour un nationalisme culturel des plus surannés. Astreints à financer une production qu'ils n'ont pas choisie, les individus disposent d'autant moins de ressources pour encourager des productions qu'ils apprécient, et donc préserver la diversité culturelle véritable.

D'aucuns pourraient émettre des doutes sur la qualité - et donc l'utilité de préservation - d'une musique qui nécessiterait la contrainte étatique pour être écoutée ou de films qui nécessiteraient des quotas pour être vus. De même, lorsque des téléspectateurs sont prêts à financer une chaîne de télévision, ils le font volontairement, comme c'est le cas pour de nombreuses chaînes privées. S'il est nécessaire de les y forcer par une redevance audiovisuelle, c'est bien qu'il est question de financer une production culturelle non souhaitée par tout ou partie de ceux qui doivent la financer. Là encore, ce n'est pas «la diversité» qui est imposée, mais bien plutôt une production culturelle particulière au détriment d'une autre. Ceux qui répètent à l'envi que la culture n'est pas une marchandise affirment en substance qu'un bien culturel ne doit pas pouvoir être choisi et financé librement, alors que le caractère particulier de la culture, subjectif et indépendant, représente justement une raison de plus pour la laisser au marché libre.

La culture n'a pas besoin de l'Etat pour exister: les entreprises du secteur privé, par exemple, soutiennent la culture à hauteur d'environ 400 millions de francs par an, alors que le commerce suisse de l'art, qui compte parmi les principaux centres mondiaux, représente quelque 3,2 milliards de francs par an. Sans compter les prix des prestations et les contributions volontaires de particuliers aux institutions culturelles. La subvention, de son côté, est une façon totalement inadéquate de financer la culture.

Un exemple en est donné par la fondation Pro Helvetia, financée par la Confédération, et qui dépense généralement environ un tiers de ses ressources en frais de personnel et d'exploitation. Certaines de ses activités ont été décrites comme «archaïques, chères et peu efficaces» par le Contrôle parlementaire de l'administration. Quoi que l'on puisse penser d'une production particulière soutenue par Pro Helvetia, il faut bien voir qu'une subvention implique que des contribuables soient astreints à financer des productions culturelles qui peuvent aller non seulement contre leurs goûts, mais aussi contre leurs intérêts ou même leurs valeurs. Les discussions sur l'indépendance relative d'un art subventionné deviennent dès lors inévitables et insolubles. En politisant un domaine aussi subjectif que la culture, il devient tout simplement impossible de répondre de façon adéquate à ce problème, et les goûts personnels des décideurs politiques finissent par l'emporter.

Un prix unique (ou inique) du livre, qui pourrait bientôt voir le jour en Suisse, est un autre exemple de politique qui s'inscrirait dans la logique de la Convention. Or, là encore, loin de protéger la diversité, une politique de ce type restreint l'accès à la culture et la liberté de choix. En France, une telle loi a permis de condamner en justice la librairie en ligne Amazon, qui peut pourtant difficilement être suspectée de nuire à la diversité vu l'étendue de son catalogue. Son «crime»: avoir proposé les frais de port gratuits à ses clients1.

Avec l'avènement des nouvelles technologies et la diversité immense qu'offre Internet, il est devenu d'autant plus difficile de ne pas s'étonner du caractère contraint et archaïque de la culture assurée sous l'égide étatique. Il faut donc espérer que la Convention ne servira pas de prétexte aux autorités pour tenter de préserver voire renforcer leur emprise sur l'offre culturelle. Car la diversité qui compte vraiment pour la culture est bien celle des choix individuels, et non celle des bureaucraties.