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Ignorer ses origines est-il vraiment le pire qui puisse arriver à un enfant?

Dans Le Temps du 11 octobre, Suzette Sandoz s’inquiète des problèmes que certaines formes de procréation médicalement assistée feraient peser contre «le droit de connaître ses origines», pour en conclure que «parentalité biologique et affective doivent idéalement rester réunies». Il ne ­ressort malheureusement pas clairement de cet article quelles modifications législatives elle propose (ou à quelles réformes elle s’oppose). Cependant, elle explicite mieux sa position dans un article du 22 mars publié sur le site LesObservateurs.ch, sous le titre «Adoption par des couples de même sexe: le marché d’enfants».

«Fabriquer biologiquement un enfant pour satisfaire ses envies de couple de même sexe sans hésiter à priver cet enfant de ses droits les plus fondamentaux, cela équivaut largement à un crime contre l’humanité.» Ainsi, taire ses origines biologiques à un enfant serait un crime contre l’humanité. Rappelons que les crimes contre l’humanité sont passibles de longues peines de prison, voire de la peine de mort pour les pays qui la pratiquent.

Si le problème est celui de la confusion entre parents biologiques et parents affectifs, ainsi que le droit de l’enfant à connaître ses origines, alors n’est-il pas étrange de s’en prendre particulièrement à la procréation médicalement assistée à l’usage des couples homosexuels? Car, après tout, aussi bien une adoption «classique» qu’un parent hétérosexuel adultère impliquent déjà une situation où il y a confusion entre les parents qui élèvent l’enfant et ses parents biologiques. L’adultère est considéré comme un crime dans de nombreux pays et notamment passible de la lapidation au Nigeria, en Arabie saoudite, en Iran, au Soudan, en Afghanistan, au Pakistan, aux Emirats arabes unis et au Yémen. Le fait que l’adultère des femmes est généralement considéré comme plus grave que celui des hommes semble bien dans la logique du droit de connaître ses origines, puisque la femme adultère introduit un doute sur le père biologique de l’enfant du couple, tandis que l’homme adultère ne crée pas de doute quant à la mère biologique.

En Suisse en revanche, l’adultère n’est pas punissable. Il n’est pas punissable non plus, pour une femme adultère, de taire l’identité de son amant à un enfant qui souhaiterait connaître ses vraies origines. Il n’y a donc déjà pas de droit absolu à connaître ses origines: il faut croire que le législateur suisse n’a pas considéré que le fait de cacher ses origines à un enfant était un crime contre l’humanité qui mériterait la peine de mort.

L’autre argument de Suzette Sandoz pour limiter les situations de différence entre les deux parentalités biologique et affective est que celles-ci risqueraient «d’accroître la souffrance et le désarroi d’un enfant».

Or, nous pouvons imaginer d’innombrables autres situations qui risquent «d’accroître la souffrance et le désarroi d’un enfant» à naître. Ainsi, aucune loi n’empêche, malgré les dégâts physiques avérés que cela risque d’occasionner au fœtus, les femmes enceintes de fumer ou boire de l’alcool. N’importe quel couple hétérosexuel apte à avoir des enfants sans procréation médicalement assistée peut le faire en toute légalité, quelle que soit son incapacité à s’occuper correctement des futurs enfants. Les parents peuvent être membres d’une secte, ou plus généralement endoctriner l’enfant à leurs propres superstitions, restreindre son épanouissement, lui manquer d’affection, le traumatiser de toutes sortes de façons, etc. Ils pourront même le faire circoncire ou lui faire percer les oreilles. Tout cela, donc, représente des risques «d’accroître la souffrance et le désarroi d’un enfant», ou même des atteintes physiques réelles, qui ne sont pas préventivement évitées. Pourquoi le législateur devrait-il interdire certains risques et non d’autres, si ce n’est en fonction de leur gravité?

Le fait d’ignorer une partie de ses origines génétiques, ou d’avoir des parents distincts des géniteurs biologiques, est-il donc vraiment ce qui peut arriver de pire à un enfant?

Jusqu’à preuve du contraire il est permis d’en douter. Et d’avancer que les législations qui restreignent ainsi la procréation médicalement assistée ne reposent en réalité sur aucune base bioéthique cohérente, ni en termes de protection du bien-être de l’enfant, ni en termes de garantie d’un droit à connaître ses origines génétiques.